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rompues d’un aqueduc romain. Nous avions à notre droite le dôme colossal du Chénoa, qui surplombe le promontoire de Tipasa et qui borne tout l’horizon du côté de l’Est. A gauche, du côté du couchant, dans un lointain inappréciable, le cap Ténès, tout entier visible à travers les bruines, élevait très haut ses pylônes bleuâtres. Au Sud, à une faible distance, ondulaient de molles collines, toutes couvertes de vignobles et de cultures ; et devant nous, la pleine mer s’élargissait au bas des falaises.

C’est sur cette terrasse resserrée entre les collines et les rochers du rivage que Cherchell est assise et qu’elle étend, pendant plus d’une lieue, sa campagne riante.

Le soleil se couchait. Sous les teintes vermeilles de la lumière décomposée, la végétation des vignes, des cyprès et des pins en parasol qui s’étagent tout le long des hauteurs avoisinantes, semblait les revêtir d’une paroi de métal poli, un métal où se fussent confondues toutes les patines de bronze et toutes les rutilances de l’or. Dans cette coulée de verdures aux tons opulens et chauds, les moindres feuilles se détachaient, précises et brillantes, ainsi qu’en un travail d’orfèvrerie. Mais rien n’était suave, à la crête des collines, comme les cimes rondes des pins, courbés sur l’abîme du ciel crépusculaire, grand miroir verdâtre au rayonnement mélancolique, où, parmi des rousseurs ardentes, vibrait une poussière d’atomes lumineux.

De ces coteaux éclairés par les rayons du soleil oblique, comme d’un espalier d’émeraude, des reflets dorés ruisselaient jusqu’au milieu de la route, se répandaient sur les arbustes des jardins, les façades des petites villas. Les haies de rosiers sauvages qui, à perte de vue, bordent les fossés du chemin, en étaient transfigurées.

Ces haies fleuries de roses offraient une autre merveille. Elles étaient tellement alourdies de corolles, de boutons en grappes, qu’on eût dit une double file de reposoirs drapés de mousselines et surchargés de bouquets. Derrière les haies, comme pour ajouter à la pompe, se dressaient les grands panaches des roseaux. Toute l’avenue avait l’air d’être ornée pour le passage d’une procession. Des pétales s’envolaient aux brises. Les touffes et les guirlandes se soulevaient et se gonflaient comme les falbalas d’une robe de bal. Jamais nulle part, — pas même à Tipasa, ni dans les roseraies fameuses de Boufarik, — je n’en avais vu une telle profusion. Il y en avait de toutes formes