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enceinte actuelle occupe à peine la dixième partie de sa superficie primitive. Déchue, elle semble se tenir à l’écart, s’isoler avec ses ruines, bien loin des grands courans de l’activité nouvelle. Cent vingt kilomètres seulement la séparent d’Alger ; mais elle a l’air d’être au bout du monde, tant les détours sont interminables pour y atteindre. C’est à cet isolement, à cet accès difficile, qu’elle doit d’avoir gardé une physionomie propre, une séduction exquise et secrète que n’a aucune des autres villes africaines.


La première fois que je vis Cherchell, ce fut par un soir du mois de mai. J’avais quitté le chemin de fer à Marengo, pour prendre une bonne vieille diligence de l’ancien temps, qui, en trois petites heures, devait me conduire à Césarée de Maurétanie. La chaleur était déjà très forte. Malgré la ventilation de la course, un air d’une lourdeur intolérable emplissait les défilés et le ravin du Sahel. Le soleil frappait d’aplomb sur le cabriolet. La lumière brûlante filtrait entre la trame de la toile, comme par les trous d’un crible. Les reflets incandescens que renvoyaient les roches avoisinantes m’aveuglaient et m’irritaient les paupières. Une poussière blanche et corrosive soulevée par les pieds des chevaux ajoutait au malaise de l’étouffement la souffrance de mille piqûres continuelles. Une torpeur engourdissait mes membres, et cependant je ne pouvais pas m’assoupir, tellement ce supplice de la poussière et de la chaleur me surexcitait les nerfs. Il dura pendant des lieues… Soudain, une détente se produisit. Des souffles larges passaient, apportant avec eux une senteur d’algues et d’iode. Je reconnus l’odeur enivrante de la mer. Nous venions de dépasser le petit village de Zurich, et nous avions gagné le sommet d’une côte, d’où l’on découvre tout le versant opposé, jusqu’à la limite des rivages.

La mer apparaissait de plus en plus nettement : d’abord amincie en une étroite bande d’un vert léger qui se fondait dans le gris nacré de l’espace, elle se déployait maintenant, immense et bleue, d’un bleu pour ainsi dire aérien, le bleu limpide, angélique et souriant des ciels d’aurore.

Cherchell était tout près ; et j’admirai ses antiques fondateurs de lui avoir choisi un cadre à la fois si noble et si doux. Quelle différence avec les régions arides et montueuses que nous avions traversées !

La route venait de faire un coude brusque entre les arches