Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/632

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a vu souvent prendre à un être humain au travail, tandis qu’on ne vit jamais un homme, de lui-même, fût-ce pour penser et si peu habitué qu’il y pût être, poser son coude droit sur son genou gauche, et se tenir sur la pointe des orteils lorsqu’il pourrait poser, bonnement, les talons à plat sur le sol. Si l’on avait résolu d’opposer la fatigue du labeur intellectuel à la facilité du travail manuel, on n’aurait pu concevoir un meilleur symbole, et les passans bénévoles qui doutent des affres de la pensée, seront vivement touchés par cette gymnastique méditative. Mais, assurément, l’artiste n’a rien cherché d’aussi symbolique. Il a cherché quelque attitude nouvelle et puissante, qui témoignât fortement de la dignité du corps humain. Et cela est beaucoup plus qu’un symbole, parce que c’est une chose qu’aucun langage, hors le langage plastique, ne pourrait nous signifier.

Ainsi, il suffit qu’il ait représenté l’homme dans l’action et le geste de penser, pour que l’artiste ait trouvé un geste moderne. Les anciens, s’ils pensaient eux-mêmes, ne faisaient pas penser leurs statues. On a remarqué depuis longtemps que, chez les gens d’action, les mouvemens commencent par les membres, chez les gens de pensée par la tête et chez les gens de cœur par les épaules. C’est assez visible si l’on jette à un homme une affirmation qui lui paraît fausse et l’irrite. L’homme de pensée secoue la tête ; l’homme habitué à la parole publique ou à l’action fait un signe négatif de la main ; l’homme qui sent très vivement plus qu’il ne réfléchit, hausse les épaules. Les anciens sculptaient évidemment des hommes d’action. Leur tête légère suivait l’impulsion du corps, ne se penchait pas plus sous le poids de la pensée qu’une tête d’oiseau. Elle n’entraînait jamais les membres à sa suite. Elle en était, le dernier accent, l’aiguille du manomètre, si l’on veut, qui indique ce qui se passe dans la machine, pas même la feuille au haut du grand arbre, qui plie comme l’arbre plie, mais qui ne l’entraîne, ne l’appesantit, ni ne le recourbe jamais. Ainsi, le précepte donné plus tard par Quintilien à l’orateur : « C’est de l’action elle-même que la tête doit recevoir tous ses mouvemens afin que, d’accord avec le geste, elle suive la direction des mains et des flancs, » n’était qu’une adaptation à l’art oratoire d’un enseignement donné déjà par des milliers de statues…

Dans la Pensée, au contraire, c’est la tête qui commence le mouvement et tous les membres, peu à peu, s’y rallient et y