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LE GESTE MODERNE
AUX SALONS DE 1905

Il y a des pays où l’on ne dit pas d’un homme : « Il est brave, » mais : « Il a été brave, — tel jour, dans telles circonstances, devant tel danger. » — En traversant les Salons de 1905, les admirateurs de nos artistes nationaux éprouvent mélancoliquement qu’on ne peut pas dire, non plus, d’un peintre : « Il a du talent, » mais bien plutôt : « Il a eu du talent, tel jour, sous telle impression, inspiré par tel sujet, » — car, hélas ! rien n’est moins définitif que les conquêtes de l’art et le terrain gagné peut, à tout moment, se trouver perdu. Les Salons de 1905 marquent un fléchissement universel chez ceux qu’on appelle « les Maîtres » et ils ne marquent pas un progrès ni une découverte chez ceux qu’on appelle « les Jeunes. » Les génies anciens ont passé ; les nouveaux ne sont pas encore apparus. Pour qui cherche une impression forte ou neuve, les deux Salons avec leurs 7 655 objets qualifiés « œuvres d’art, » ou les trois Salons en comptant les Indépendans, — avec leurs 11 924 produits de l’activité des exposans, — sont vides. Jamais les moyens de se manifester ne furent plus libéralement accordés aux artistes ; jamais ils ne s’en sont moins servis pour manifester quelque chose qui valût la peine d’être connu. Jamais le moindre accent d’originalité, la note la plus ténue de modernisme ne furent plus facilement accueillis et acclamés comme des découvertes mondiales, — mais elles ne sont pas plus nombreuses que jadis et elles étaient plus précieuses lorsqu’elles avaient quelque peine à se faire accueillir. L’Esprit, qui souffle où il veut, ne souffle pas plus dans les pays et aux