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Restée seule, la France n’était pas en mesure de se mettre en travers des ambitions imprudentes de l’Allemagne et de la Russie, ni d’imposer à tous le respect de l’intégrité chinoise. Les Japonais, du moins, ne s’y sont pas trompés ; ils ont reconnu que, dans la crise de 1895, c’est à la diplomatie et à la marine françaises qu’ils ont dû d’éviter une guerre où leur flotte encore faible risquait de périr dans un conflit inégal et que c’est à la France que doit rester, en définitive, l’honneur d’avoir posé et défendu, dans la limite de ses moyens, le principe salutaire de l’intégrité. La France seule a eu, à certaines heures critiques, une politique soucieuse de l’avenir, supérieure aux rivalités nationales et aux intérêts particuliers ; si elle a été impuissante à la faire prévaloir, il n’en reste pas moins acquis que quelques-uns de ses hommes d’État et de ses diplomates ont, les premiers, compris que la question d’Extrême-Orient n’est pas une « question coloniale, » comme celle du Dahomey ou du Niger, mais que l’avenir de toutes les puissances et de la civilisation européenne elle-même y est engagé.

Kiao-tcheou et Port-Arthur occupés par l’Allemagne et par la Russie, la politique d’intégrité définitivement abandonnée, les conséquences logiques de ces fautes allaient, on sait comment, se développer pour aboutir aux catastrophes de 1900 et de 1904. La présence des escadres et des troupes russes à Port-Arthur rappelait cruellement aux Japonais leur déconvenue de 1895 et donnait un sens précis aux projets de partage de l’Empire du Milieu dont on parlait si légèrement. Kiao-tcheou, isolé, loin de l’Allemagne, pouvait paraître comme une simple possession maritime, sans racines dans le continent asiatique et sans influence sur ses destinées ; Port-Arthur, au contraire, relié à l’Europe, sans solution de continuité, par son immense chemin de fer, semblait être la Russie elle-même qui s’installait aux portes de Pékin et proclamait sa candidature à l’empire du Pacifique. C’est bien ainsi que les journaux de l’époque interprétaient l’établissement des troupes du Tsar dans le Liao-Toung ; ils célébraient l’importance d’un pareil événement comme une conquête de la civilisation et comme un nouvel et définitif épisode du pari âge du monde. Ainsi s’affirmait, avec une conviction ingénue, le sentiment de la suprématie naturelle et nécessaire des Européens « civilisés » sur le reste du globe : lu drapeau russe flottant à Port-Arthur un apparaissait comme