Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/533

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

succès, s’étoient promis tant de grandes choses et dont les propos impérieux avoient tout subjugué, tombèrent alors dans un abattement et dans des frayeurs mortelles. C’étoit un plaisir de les voir rapprocher avec art et bassesse, et tourner autour de ceux du parti opposé qu’ils jugeoient y tenir quelque place et que leur arrogance avoit fait mépriser et haïr, surtout de voir avec quel embarras, quelle crainte, quelle frayeur ils se mirent à ramper devant la jeune princesse, tourner misérablement autour de Mgr le Duc de Bourgogne et de ce qui l’approchoit de plus près et faire à ceux-là toute sorte de souplesses[1]. »

Dans cette lutte entreprise par sa propre épouse et dans son propre intérêt contre Vendôme, quelle avait été l’attitude du Duc de Bourgogne ? Il ne paraît point y avoir pris part. « Enfoncé dans la prière et dans le travail de son cabinet, dit ailleurs Saint-Simon, il ignoroit ce qui se passoit sur la terre. » Son âme chrétienne ne connaissait ni le fiel ni la rancune. Peu s’en était fallu qu’il ne prît sous sa protection le comte d’Evreux, dont il avait eu si fort à se plaindre, et si la Duchesse de Bourgogne ne lui en eût fait honte, il l’eût aidé à obtenir de nouveau du service dans la campagne qui se préparait. L’année suivante, quand Philippe V demanda à Louis XIV de lui envoyer Vendôme pour prendre le commandement de ses armées, le Duc de Bourgogne s’employa pour que la requête du roi d’Espagne fût favorablement accueillie. « J’ai été fort flatté, écrivit-il à son frère, de la bonne opinion que vous avez de moy. Il me paroist, Dieu mercy, que je préférerai toujours le bien public aux intérêts particuliers ; du moins, si je pense toujours comme je fais à présent, et quant à tout ce qui pourroit s’appeler haine bu ressentiment, je les dois sacrifier et les sacrifie aussi comme chrétien. Peut-estre trouverez-vous ceci plein de vanité, mais je par le simplement, comme je le pense. Soyez donc persuadé, mon très cher frère, que, si je puis quelque chose pour ce que vous demandez, je m’y emploierois de bien bon cœur[2]. »

Mais, la requête de Philippe V étant accordée et Vendôme désigné pour aller commander en Espagne, le Duc de Bourgogne crut cependant de son devoir de faire connaître à son frère le véritable caractère de celui entre les mains duquel allaient être

  1. Saint-Simon. Édition Boislisle, t. XVII, p. 327.
  2. Archives d’Alcala. Le Duc de Bourgogne à Philippe V, 10 février 1710, lettre communiquée par l’abbé Baudrillart.