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russe aura été jouée et perdue. Dans le cas contraire, nous ne disons pas que la situation sera complètement retournée : les Japonais n’en seront pas moins à Port-Arthur et à Moukden ; mais leur situation y deviendra, critique, puisque leurs communications maritimes avec le Japon seront coupées. On ne saurait donc exagérer l’importance de la bataille prochaine ; elle est très grande. Ce n’est pourtant pas une raison pour nous accuser d’avoir manqué aux lois de la neutralité alors que nous avons fait, pour les respecter, plus que toute autre nation n’aurait peut-être fait à notre place.

L’attitude de la presse britannique a participé, pendant quelques jours, de l’émotion et de la trépidation qui se manifestaient à Tokio : nous n’avons pas cru, toutefois, un seul instant qu’il y eût là une brusque modification des sentimens amicaux de l’Angleterre à notre égard. La presse est la même dans tous les pays ; elle est sujette, qu’on nous passe le mot, à s’emballer, mais elle a des retours aussi prompts que l’ont été ses premiers mouvemens. Les plus grands journaux de Londres, le Times par exemple, nous ont adressé des observations sévères, des objurgations rudes et presque menaçantes, comme si nous avions réellement mérité les reproches que nous adressaient les Japonais et si nous avions manqué aux lois de la neutralité. La presse anglaise, qui est la mieux informée du monde, aurait bien fait de prendre quelques renseignemens aux bonnes sources avant de partir ainsi en campagne : elle n’aurait pas eu beaucoup de peine à reconnaître que les faits relevés contre nous avaient été non seulement exagérés, mais dénaturés. Nous étions d’avance suspects aux Japonais parce que nous sommes les alliés des Russes, cela se comprend ; mais nous ne devrions pas l’être aux Anglais parce qu’ils sont les alliés des Japonais, et nous attendions de leur part plus de justice. Il s’agit, cette fois encore, des journaux et non pas du gouvernement : le langage de celui-ci a été ce qu’il devait être. Il a suffi à M. Balfour et à lord Lansdowne d’exposer très simplement et très froidement les faits tels qu’ils s’étaient passés, le premier à la Chambre des communes et le second à la Chambre des lords, pour apaiser l’effervescence de l’opinion. On a pu se convaincre alors que notre conduite avait toujours été correcte, et aussi que le gouvernement britannique n’était pas disposé à prendre en mains contre nous des griefs imaginaires.

Comment aurait-il pu en être autrement le lendemain même du séjour que le roi Edouard a fait parmi nous ? Les sentimens qu’il nous a témoignés et ceux que nous lui avons témoignés nous-mêmes