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de leur domaine colonial. Les colonies anglaises forment une chaîne quasi ininterrompue à travers le monde, et les navires anglais trouvent toujours, après une courte navigation, des points de refuge et de ravitaillement : les navires français, au contraire, sont obligés pour cela de traverser quelquefois des espaces immenses. C’est pourquoi nous n’avons jamais admis la règle que des navires de guerre ne pouvaient séjourner dans des eaux neutres pendant plus de vingt-quatre heures : nous n’avons fixé aucune limitation à la durée de ce séjour. Ces règles, que nous avons toujours maintenues avec énergie dans le passé, parce que les intérêts de notre marine en dépendent, nous ne pouvons pas y renoncer aujourd’hui. On conviendra que le fait qu’elles profiteraient à la Russie ne serait pas un motif suffisant pour cela. Mais nous sommes les premiers à reconnaître qu’elles ne doivent pas non plus porter un préjudice sensible au Japon, et que notre devoir est de les appliquer non pas suivant la lettre stricte, mais dans un égal esprit de loyauté envers les deux belligérans. Notre neutralité doit, en un mot, être une vérité. C’est bien ainsi que nous l’avons entendu : rien dans ce qui s’est passé jusqu’à ce jour ne constitue un manquement aux résolutions que nous avons prises dès le début des hostilités et notifiées à qui de droit.

La flotte russe a fait un long séjour à proximité de Madagascar, et sans doute nous ne l’en avons pas empêchée. Comment aurions-nous pu le faire ? Il aurait fallu, pour que nous en eussions le droit, que la flotte russe se fût installée dans nos eaux territoriales qui, comme on le sait, s’étendent du rivage à trois milles en mer : nous aurions pu alors l’inviter à en sortir. Mais la flotte russe a évité avec soin de stationner dans nos eaux territoriales, de sorte que, même si nous avions voulu le faire, nous n’aurions eu aucun droit de lui dire d’aller plus loin. Les ravitaillemens qu’elle a opérés en vivres ou en charbon ont été des opérations purement commerciales sur lesquelles nous n’avions et ne pouvions avoir aucune action, car le commerce est libre sur les mers. Aussi bien, et quoiqu’il ait surveillé avec vigilance ce qui s’est passé autour de Madagascar, le gouvernement japonais ne nous a-t-il adressé aucune plainte formelle à ce sujet. L’amiral Rodjestvensky s’est dirigé ensuite vers l’Orient et a pénétré dans les eaux jaunes : alors seulement l’opinion japonaise a commencé à s’émouvoir. Des plaintes ne sont élevées et sont devenues pressantes. Nous aurions certainement préféré que l’amiral Rodjestvensky n’entrât pas dans nos eaux territoriales comme il l’a fait à Kam-Ranh ; nous aurions apprécié de sa part une attitude plus