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fois, à Weimar, le 7 septembre 1788, les sentimens qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre n’annonçaient guère leur prochaine amitié. Ce sont ces sentimens que nous décrit et nous explique, d’abord, M. Chamberlain. Il nous montre Schiller tout rempli encore de son ancienne admiration pour Werther et Gœtz de Berlichingen, mais ayant sans cesse mieux conscience de sa propre valeur, et de plus en plus prévenu contre Gœthe par la sourde hostilité qu’il sentait chez celui-ci ; et en effet Gœthe, de son côté, au sortir de la crise qu’avait été pour lui son voyage d’Italie (1786-1788), ne pouvait s’empêcher d’être importuné de la gloire grandissante d’un rival qui reprenait, en l’exagérant, le romantisme dont il venait lui-même de se séparer. Aussi la rencontre des deux poètes fut-elle assez froide ; et l’on put même craindre que, loin de calmer leur méfiance réciproque, elle n’eût pour effet de la rendre plus vive. Mais ensuite, peu à peu, sous l’action simultanée des circonstances et de leur développement intérieur, Gœthe et Schiller, désormais voisins, ont commencé à se comprendre ; le fossé qui les séparait s’est, peu à peu, comblé, jusqu’à ce jour mémorable du 14 juillet 1794 où, dans une rue d’Iéna, une phrase de Schiller a brusquement révélé à Gœthe la haute valeur intellectuelle de son jeune confrère. Après ce jour, les deux hommes ne pouvaient plus manquer de s’unir : conduits à cela non seulement par la profonde estime qu’ils ressentaient l’un pour l’autre, mais aussi, sans doute, par la perception, plus ou moins consciente, de l’utilité qu’aurait, pour chacun d’eux, une telle amitié. Et je vais essayer de traduire, tout au moins, quelques lignes du chapitre où M. Chamberlain nous définit l’influence parallèle exercée sur Schiller et sur Gœthe, par ce long échange de leurs sentimens et de leurs idées.


Maintenant Goethe, — le monde qu’était la pensée de Goethe, — devenait pour Schiller comme un élément, une atmosphère nouvelle où il pouvait recréer poétiquement ce que, jusqu’alors, il n’avait fait que concevoir abstraitement. Pour employer une de ces images qui lui étaient, familières, on pourrait dire que Goethe était devenu pour lui un miroir, un miroir enchanté. Assurément il n’y a pas, dans les dernières tragédies de Schiller, une seule grande figure qui aurait été ce qu’elle est sans la présence de Gœthe : non que ces figures ne soient, des pieds à la tête, une création de Schiller ; mais ce n’est qu’au contact de Gœthe que Schiller a appris à revêtir d’une forme concrète et précise tout ce que son génie lui faisait concevoir…

Sur l’œuvre poétique de Gœthe, d’autre part, l’influence de Schiller a été moins vive. Sans doute c’est Schiller qui a encouragé le retour de Gœthe à la poésie, et leurs lettres nous prouvent, en outre, qu’il l’a souvent, éclairé sur les qualités et les défauts de ses écrits. Mais tout cela n’est que superficiel