Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/471

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

odes, ni ses tragédies en vers, n’ont la parfaite et profonde beauté de celles du plus merveilleux poète qu’ait produit l’Allemagne. Peut-être y découvrirait-on, à les bien étudier, certaines vertus qui manquent même aux chefs-d’œuvre de Goethe : au point de vue de la forme, conception et composition, choix des images et harmonie du vers, l’immense supériorité des poèmes de Goethe ne saurait plus, désormais, être mise en doute. Mais au contraire, dans la Correspondance, c’est incontestablement Schiller qui reprend l’avantage. Non seulement la part d’idées qu’il y apporte est plus importante, aussi bien par sa qualité que par sa quantité : il y apporte en outre un langage plus varié et plus riche, plus digne d’un poète ; et surtout il y apporte infiniment plus de son âme, et celle-ci nous y apparaît dans toute sa grandeur.

Différence qui, assurément, ne prouve rien contre la supériorité artistique de Goethe sur Schiller : car on aperçoit tout de suite qu’elle ne résulte que de la différence des deux caractères. Gœthe, dans ses lettres, ne se livre jamais tout entier. De même qu’il ne soumet à son « uni qu’une partie de ses travaux, il ne lui confie, non plus, qu’une partie de ses rêves et de ses pensées. Ses lettres sont presque toujours, simplement, des « réponses : » réponses absolument parfaites, du reste, comme tout ce qui nous vient de lui, et il n’y a pas un seul mot des lettres de Schiller que nous ne sentions qu’il ait lu, médité, et jugé. Mais nous sentons aussi qu’aux sujets que traite Schiller il n’éprouve pas le besoin d’en ajouter d’autres, et que, sur ces sujets mêmes, il ne dit que ce qu’il croit capable d’intéresser son correspondant. Jamais nous ne le voyons là que de profil, sauf pour nous à deviner le magnifique visage de poète qu’il nous cache à demi. Et au contraire Schiller se découvre à nous pleinement, dans chacune de ses lettres. Celui-là n’est pas homme à rien garder pour lui seul ; tout ce qu’il pense et tout ce qu’il éprouve, ses réflexions, ses projets, ses espérances, il livre à Goethe tous les secrets de son âme, trop heureux qu’un tel maître lui fasse l’honneur de les accepter.

Encore n’est-ce pas tout. Un autre trait, d’ordre plus particulièrement intellectuel, distingue Schiller de Goethe, et nous explique l’intérêt plus constant de ses lettres. C’est que Goethe, du fait même de son génie de poète, et avec une force et une étendue d’intelligence bien supérieures à celles de son ami, se trouve hors d’état de rien comprendre sans aussitôt le transfigurer, sans le revêtir aussitôt de vie poétique. Son puissant esprit ne sait que contempler ou créer ; et le passage de l’un à l’autre de ces deux états s’opère en lui