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gentilhommière de Nohant n’était pourtant pas telle, que Solange n’accourût aux premières atteintes du mal qui devait emporter celle qu’elle adorait dans le fond de son étrange cœur. Dans la terrible nuit du 7 au 8 juin 1876, durant ces heures d’agonie où la mourante murmurait, parmi d’atroces souffrances : « Mon Dieu, la mort ! la mort ! » Solange était à son chevet, avec le reste de la famille. Peu avant son dernier soupir, vers dix heures du matin, c’est la main de Solange que George Sand porte à sa bouche « en faisant le simulacre de mordre. Sa fille lui demanda si elle voulait manger. Elle fit signe que oui. On lui fit avaler péniblement une ou deux petites cuillerées de bouillon[1]. » C’est elle, aidée de Solange Marier, qui donna aux restes mortels de sa mère les derniers soins ; elle enfin qui insista pour que, en l’absence d’instructions expresses de George Sand, les funérailles ne fussent point civiles. Un sentiment de convenance supérieure lui fit user ainsi d’une latitude sans doute intentionnelle, et qui en elle-même avait sa signification.


Elle lui survécut vingt-trois années[2]. Ceux qui l’ont connue seulement dans les derniers temps de sa vie ont pu éprouver les impressions les plus singulières, voire les plus contradictoires. Mais la contradiction était le fond même de cette nature. Tête très artiste, cœur naturellement froid, à de certains momens ce cœur battait d’un mouvement désordonné, et emballait tout le reste. L’ancienne jolie femme se décelait à certains soins du visage, à des redressemens subits du port et de la taille, à des gestes demeurés séduisans malgré leur dédain. Son esprit était la chose la plus unique et la plus hétérogène : caustique, drôle, supérieur et gavroche, très viril et pourtant très féminin, impétueux en saillies et pourtant capable de profondeur, il donnait l’idée la plus avantageuse de ce que la nature l’avait fait, et surtout de ce que l’étude en aurait pu faire. Tous ses propos en étaient assaisonnés. L’esprit était la chose que Solange dépensait sans compter. Autour d’elle tout respirait l’ordre le plus méticuleux, et un arrangement bourgeois dans une fantaisie d’artiste. Elle préférait ouvertement ses bêtes à ses gens, quoiqu’elle

  1. Henry Harrisse, Derniers momens et obsèques de George Sand (1904). — Même détail dans la relation manuscrite du Dr Pestel, de Saint-Charlier, relation aujourd’hui entre les mains de sa veuve, et que nous avons pu consulter.
  2. Elle mourut à Paris, de l’influenza, le 17 mars 1899.