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dernier billet à sa mère (15 septembre 1873) nous la montre se présentant chez Charles Edmond, et laissant pour lui une lettre de sa mère avec son manuscrit. « Je n’ai pas trouvé Charles Edmond. Il ne rentrait qu’aujourd’hui. J’ai laissé ta lettre et fait remettre le manuscrit que j’ai encore retapé à Paris. » Ce billet est déjà daté de Montgivray.

Ainsi se termine le dialogue de la mère et de la fille. Depuis 1835, nous avons pu le suivre presque sans interruption. Il avait duré près de quarante ans.


VII

Les trois années, à peine, qui s’écoulèrent entre l’installation de Solange à Montgivray et la mort de sa mère paraissent n’avoir été marquées par aucun incident notable. C’en est un, pourtant, que l’éloignement relatif qui résulta de ce rapprochement. Entre Montgivray et Nohant, il y eut bientôt plus de distance qu’il y en avait eu entre Nohant et Cannes jadis ou Turin. C’était à prévoir. George Sand avait prouvé une fois de plus sa sagesse, quand elle s’était opposée, douze ans auparavant, à une installation près d’elle, qu’elle jugeait prématurée. Maintenant les inconvéniens n’étaient plus les mêmes. Pourtant, des froissemens se produisirent bientôt, notamment avec Maurice. Nohant était le nid où s’élevaient les gracieux petits-enfans de la grande aïeule, ces enfans auxquels Solange s’intéressait (ses lettres en témoignent), mais dont la vue, malgré tout, rouvrait dans son cœur toujours saignant une blessure profonde. N’écrivait-elle pas, après la secousse de l’année terrible :


Je suis contente de savoir que vous allez bien. Les petites filles… quand elles sont charmantes, ah ! c’est la joie de tous les instans de la vie. Mais c’est aussi l’effroi et le tourment au moindre accident. Et quand on ne les a plus, c’est le désespoir foncier et pour toujours ; un désespoir qui se creuse comme une solitude dans un cœur, et qui s’y enfonce et s’y étend comme un cancer à mesure que l’on vieillit. Vieillir seule, c’est affreux pour une femme. Les amitiés replâtrent le vide par-dessus les malheurs : elles ne reconstruisent ni ne bouchent rien. L’amitié, cette invention si douce des humains, n’est vraiment qu’un palliatif charmant, qu’un pis aller délicieux. (26 octobre 1871.)

On s’envoyait des nouvelles, on ne se voyait pas.

La distance entre le castel fleuri de Montgivray et la vieille