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Tant mieux, reprend sa mère, pour la vente de ton terrain. Ce n’est pas une raison pour ne pas écrire. On a toujours, même quand le pain est à la maison, quelque bout d’idéal en soi et on le développe en le disant. Comment avaler l’horreur de la vie générale si on n’a un coin pour se réfugier contre ses caprices ? Le coin matériel, le home ne suffit pas. Il y a le nid intérieur, le petit sanctuaire, la petite pagode intellectuelle, si tu veux, que l’âme se bâtit, qu’elle orne à sa guise, et où elle entre de temps en temps pour s’absorber et se refaire. (27 janvier 1872.)


Maintenant elle n’aura de cesse que Solange n’ait achevé cette nouvelle petite œuvre. Elle sait trop bien que l’inaction lui est mauvaise ; elle sait aussi qu’avec elle, tout se commence et rien ne s’achève ; or, « achever, tout est là. » En juin 1872, elle revient à la charge. En septembre, elle prêche d’exemple en refaisant Mlle de La Quintinie « de fond en comble. » En janvier 1873 : « Pioche ton roman ! » En mars : « Avances-tu ton roman ? » Et ainsi jusqu’à la fin de la correspondance, qui tombe tout à coup en juillet 1873. Elles ne s’écriront plus désormais, parce qu’elles vont demeurer presque porte à porte. Dans l’été de 1873, Solange acquiert Montgivray, et s’installe dans son cher Berry, exactement entre La Châtre et Nohant, presque au bord de la route qui conduit directement chez sa mère. Un double hasard lui permettait d’accomplir son vœu secret. « Malgré-tout » était à peine achevé et meublé, qu’un acheteur de marque, le prince de la Moskowa, en offrait le double de ce qu’il avait couté. Solange hésita, puis conclut cette affaire avantageuse, et opportune. Ce ne fut pas la maison qu’elle regretta. « Mon pauvre jardin ! ça, c’est le crève-cœur ; mes plantes exotiques en pleine terre, mes cyclamens, mes camélias en fleur, et mes bordures de violettes de Parme ! Mon colecia horrida, surtout ! » Cet exotisme qu’elle regrettait à Cannes, elle allait le transplanter, avec elle, dans ce domaine de Montgivray, ancienne propriété des Châtiron ; en changeant de mains, Montgivray restait dans la famille. En même temps, le fonds de nature berrichonne allait ressusciter chez Solange, tandis qu’elle vieillirait au gîte. Du coup, elle finit le roman qu’elle avait rapporté de Cannes inachevé[1] ! Son

  1. Il n’est pas sûr que ce roman de 1873 ait rien de commun avec celui que Solange fit paraître assez longtemps après la mort de sa mère (en 1887), chez Calmann-Lévy, Carl Robert. Dans Carl Robert, on retrouve une partie des personnages de Jacques Bruneau et deux nouveaux personnages, deux artistes (Robert et Mlle Flori). Tous deux sont d’une extraordinaire invraisemblance ; mais les pages fringantes abondent, et certains épisodes sont enlevés avec un surprenant brio.