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quelqu’un qui n’est point mécontent de soi. Au retour, j’ai flanqué au plus haut rayon d’une armoire mes perles d’or, mes souliers haut montés, mes bons mots, mon scepticisme railleur et mon esprit de parade, aussi faux que mes couleurs vermeilles et mes longs sourcils. Me voici donc rentrée au gîte et rendue à celui que j’aime, à l’homme de mes rêves, au vaillant et beau Maurice, heureuse de lui donner à la fois et mon temps et mon cœur ! J’ai entrepris hier en sa compagnie et sous les ordres du prince Eugène la plus forte place de Flandre. Et je me suis endormie dans le logement qu’ont pratiqué nos bons soldats Hessiens, sur l’angle du demi-bastion d’un tenaillon. (28 novembre 1859.)


La jolie page ! et quel charmant livre, écrit « à la française, » cette page promettait ! Le 10 décembre l’élan n’est pas encore ralenti. Solange fait donc plus que de promettre, elle commence à tenir ! Voici le plan détaillé, les titres de chapitres : ceci nous inquiète, vu un certain précédent ; les devises nous rassurent : c’est sérieux, c’est du latin. PREMIERE PARTIE : UN FILS DES KŒNIGSMARK (ab origine summa), 4 chapitres. — DEUXIEME PARTIE : LE DUC DE COURLANDE (frangor non flector, ou bien invicto insuperabile fatum), 4 chapitres. — TROISIEME PARTIE : LE COMTE DE SAXE (per tela, per hostes),, 4 chapitres. — QUATRIEME ET DERNIERE PARTIE : LE MARECHAL DE SAXE (Victricia signa ! ou bien Quævis obstacula rumpit ; ou bien encore : Hostes féliciter arcet), 8 chapitres : campagne de 1744, Fontenoy, Bruxelles, Raucoux, Laufeld, Maestricht, Chambord, Strasbourg. — Programme superbe, développé avec un véritable emportement d’éloquence qui implique l’assaut définitif. Pourtant, les lettres suivantes ne parlent que de chiffons ou d’affaires. Inquiète, George-Sand insinue, le 24 février 1860 :


Et le maréchal de Saxe ? comment se porte-t-il, le pauvre homme ? Son portrait[1] a l’air de me le demander tous les jours. Je ne sais que lui répondre. As-tu fini tes cartes et tes plans, et vas-tu enfin le faire naître ?


Hélas ! le héros de Fontenoy subissait maintenant toutes les sautes d’humeur — ou de santé — de Solange. Solange a eu mal aux yeux, puis la cholérine. Aussi, entrée dans Prague depuis quinze jours, ne peut-elle plus en sortir (25 février). Le 1er avril, elle reprend le travail ; le 16, elle l’arrête. Elle le reprend

  1. Par La Tour, réplique (ou original ? ) de celui du Louvre. Aujourd’hui chez Mme Lauth-Sand. George Sand écrivit un jour à Solange qu’elle lui donnerait ce portrait quand elle aurait achevé son livre sur le maréchal de Saxe. Aussi ne l’eut-elle jamais.