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logie au contact de Maurice. Non. Je suis dans les cailloux quand j’ai une heure de récréation[1]. Mais c’est si rare, et mes yeux sont si fatigués que je commencerai à savoir un peu de minéralogie vers l’âge de quatre-vingt-dix ans. C’est pourtant bien beau, les pierres, et je ne sais pas pourquoi on en qualifie quelques-unes de précieuses, quand toutes sont le résultat d’opérations si mystérieuses et si puissantes. Tout est beau et intéressant, vois-tu, et, quand tu seras vieille comme moi, tu regretteras comme moi de n’avoir-pas eu plus de temps pour admirer, au lieu de vivre. Mais qu’y faire ? Allons ! c’est égal, tu travailles et tu es éprise de ton sujet, c’est la meilleure condition pour bien faire. Je ne comprends rien aux lignes de circonvallation et autres belles choses dont tu te régales. Mais je suis sûre que c’est très intéressant, parce que tout est beau dès qu’on le comprend. Je t’embrasse. Ton frère aussi. Tiens-moi au courant de tes batailles. (23 octobre 59.)

P.-S. — Tu peux attendre une occasion pour m’envoyer les Rêveries. Dis à Émile [Aucante] de t’en remettre le prix. J’ai bien ri de ta description d’Ernest Feydeau. Je le crois, en effet, exhubérant (sic), mais il me plait quand même. Il a du talent courageux et jeune ; et comme, en fait de gens de lettres, il y en a deux de modestes sur cent, il faut bien les prendre comme ils sont. Rappelle-toi Balzac !


Là-dessus, Solange se remet en selle et trotte vigoureusement durant quelques semaines, à la suite de Maurice de Saxe. Mais, un beau matin, elle s’aperçoit que « le moderne ne lui est plus de rien, » et que sa cervelle « manquait totalement d’actualité. » Des amis la raillent. Ils provoquent un réveil de la mondaine, qui d’ailleurs n’avait jamais dormi que d’un œil. Quelle verve fouettée dans cette page espiègle, où Solange à la fois s’admire et se raille elle-même !


J’ai compris que j’étais coulée, si je ne donnais un bon coup de collier à l’indulgente réputation d’esprit qu’on m’a bien voulu faire. Alors j’ai endossé mon habillement de velours, agité des nuages de poudre rose et blanche, et fait une petite tournée dans le pays des rubans et des grelots. J’ai dîné toute la semaine dernière, éreinté mes plus tendres amies, assommé mes petits camarades, et réveillé, à grands coups d’éventail sur la tête, trois à quatre amoureux transis qui s’étaient endormis dans le coin de ma cheminée entre la pelle et le garde-cendres. Puis jetant, le matin, sur les publications nouvelles, un regard suffisant pour en surprendre les défauts, je proclamais tout haut le soir le mal qu’il en fallait penser. Après huit jours d’allées, de venues, de repas, de caquetage et d’éreintante oisiveté, j’ai opéré ma retraite, en frappant les dentelles de mon jabot, de la façon de

  1. George Sand « découvrait » alors la minéralogie, après avoir fait toute sa vie de la botanique en élève de Jean-Jacques, et de l’entomologie à la suite de Maurice. Elle regretta toujours de s’y être adonnée trop tard, et la cultiva jusqu’à la fin, à ses heures de loisir. — Voir sa curieuse lettre à Michelet du 14 février 1861. (Revue de Paris, 1er décembre 1904.)