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gâtée, grondée, punie, pardonnée, et avec tout cela je ne la connais pas du tout, ne pouvant jamais deviner ni comprendre pourquoi elle fait ou veut faire telle ou telle chose qui pour moi n’a pas sa raison d’être. (16 juin 1858.)


III

George Sand semble désespérer d’amender ce caractère déconcertant. Au fond, elle espère toujours. C’est que, dans la riche nature de Solange, le remède est à côté du mal. Il ne lui manque que de vouloir. Déjà, lors de ses accès de folle mondanité coupés de dégoûts et de lassitude, la mère avait jeté à sa fille cet avertissement : « Je ne croirai jamais que cela [tes qualités] doive aboutir à faire de toi une lionne. » Dès 1851, elle la pique, elle la stimule, elle l’entraîne au travail. Dans la crise morale, autrement grave, qui suivit la mort de Jeanne, George Sand attendait le moment propice pour tenter, par le travail encore, une cure définitive. Hérédité à part, toutes sortes de raisons conseillaient à la femme séparée, si intelligente et si désœuvrée, une occupation sérieuse. Jusqu’à un certain point même, les circonstances lui commandaient une tâche lucrative. Le budget de Solange était alors des plus minces. Son mari, — disparu en Italie, — n’avait garde de payer les intérêts de la dot dissipée, quoique tenu par un jugement de le faire ; son père, malgré ses bonnes intentions, comptait très irrégulièrement la petite pension dont il l’aidait[1] ; le plus clair des ressources de Solange venait de Nohant, et, à Nohant même, on n’était pas très au large. Les années 1857 à 1860 furent terribles pour la librairie. L’attentat d’Orsini avait provoqué des mesures draconiennes envers la presse. Malgré ses relations personnellement bonnes avec le prince Napoléon et même avec l’Empereur, George Sand subissait le contre-coup de ces « rudes avertissemens » suivis de suspensions, qui équivalaient souvent à une ruine. Elle en fit l’épreuve pour la Daniella et même pour les Beaux Messieurs de Bois-Doré[2]. En 1859, la situation était très précaire, et la tâcheronne de Nohant l’établissait ainsi, à la fois pour elle et pour sa fille :


… Tu m’as parlé de ta situation, qui n’est pas satisfaisante et que j’ai le chagrin de ne pouvoir améliorer. Que faire ? J’ai cinquante-cinq ans et ne

  1. Voyez Correspondance, IV, p. 41.
  2. Ibid., p. 117, et p. 119, la lettre à l’impératrice Eugénie.