Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/407

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa fille lui est trop connue pour qu’elle la laisse aller seule. Mais Solange ne veut pas se réduire à des occupations de vieille femme, et à « faire de la tapisserie. » Sa vive réponse est une peinture de son caractère :


Je t’avouerai franchement que le Berry perd beaucoup de charmes pour moi à être vu à pied. Je crois même que l’hiver là-bas sans cheval, avec la meilleure volonté du monde, me serait impossible. Je n’ai malheureusement que vingt-sept ans, et, tout en étant souvent malade, je n’en ai pas moins le sang et les nerfs trop jeunes pour pouvoir tout un hiver faire de la tapisserie, jouer du piano et me livrer à ma vaste correspondance. J’ai besoin d’une activité quelconque, soit de l’activité des salons, des spectacles, des courses, etc., soit de l’activité du cheval, qui est la plus calmante de toutes…

On dit ensuite que je fais des bêtises, à Paris, quand on me voit au théâtre avec des femmes et des hommes de mon âge. Il ne peut guère en être autrement, vivant complètement seule, n’ayant aucune espèce de protection ni de loin ni de près, et portant avec moi un profond chagrin. Que je m’étourdisse ; que j’épuise ma jeunesse et ma santé en me grisant de bruit et de mouvement, c’est tout simple, et je suis plus à plaindre qu’à blâmer. On ne sait pas souvent quelle nuit passe une femme qui s’amusait beaucoup le soir !… (6 octobre 1855.)


La fin de cette lettre amère met en cause George Sand bien injustement. À Nohant, on ne la voit pas ! elle travaille tout le temps ! Sinon, on ne la voit qu’en compagnie de ses commensaux, Maurice, Manceau, etc. ; et l’intimité est impossible. Mais quelle « intimité » Solange avait-elle recherchée avec sa mère, et quelle mère, en dépit de toutes les bourrasques, avait moins donné sujet à sa fille de se déclarer « sans aucune protection, ni de loin ni de près ? » Certes, la souffrance de Solange est réelle, et sa destinée fut à plaindre. Mais la principale cause de ses souffrances, et jusqu’à un certain point de ses malheurs, elle la portait dans son propre caractère. Et les fatals effets de son mariage se faisaient encore sentir dans la séparation. Qui donc, sinon Clésinger, avait développé les côtés impérieux et violens de ce caractère par ses odieux sévices ? Quel régime moral, d’autre part, que cette vie en l’air qu’elle avait menée durant les courtes accalmies de leurs querelles ? Après ces folles traverses, Solange devait connaître la plus terrible des épreuves, sans s’y mûrir ; du reste, elle ne mûrit jamais. Et son unique règle, dès lors, fut un systématique « étourdissement. »

George Sand en souffrit, et se tut. À l’occasion, elle risquait