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délaissée, ou donne à comprendre que quiconque n’est point constitué comme elle ne sait ni aimer ni souffrir. Réponse :


Je travaille comme douze nègres, et je ne m’en plains pas. Cela m’arrache de force à tant de souvenirs qui se pressent ici à toute heure. Mais je n’oublie pas pour cela, et je vois bien que depuis beaucoup de jours tu ne m’as pas écrit. (25 juin.)


Solange a des crises de nerfs. Pourquoi ? lui demande sa clairvoyante mère :


Ne vis-tu pas, de parti pris, dans des causes d’excitation où la tête est plus en jeu que le cœur ? Tu ne m’en diras rien, je le sais ; mais au moins dis-toi à toi-même tout ce que j’aurais à te dire. Tu as bien assez d’intelligence pour cela.


Et elle lui conseille de voir Mme de Girardin, relation précieuse pour Solange, mais que la mort allait rompre incessamment. (Lettre du 29 juin.) Là-dessus Solange parle d’un voyage en Angleterre, d’où George Sand conclut que, par un de ces retours inopinés dont elle est coutumière, c’est un voyage à Nohant qui s’annonce. En effet, elle vient, repart pour Paris, court sans motif à Boulogne (18 juillet), et revient sans plus de motif. George Sand la raille, mais au fond s’inquiète.


J’ai eu envie de rire de tes caprices de voyage, que tu racontes si drôlement ; mais je crains toujours que sous toutes ces gaités il n’y ait des chagrins ou des folies. Te voilà bien en peine de savoir où tu promèneras tes pas, comme si Nohant ne te valait pas beaucoup mieux, au moral et au physique. Je supporterais même le chien-veau [une des bêtes de Solange ; d’ordinaire George Sand exigeait que sa fille se séparât chez elle de sa ménagerie], à condition que tu penserais à le faire boire. Mais le diable te pousse je ne sais où. Au moins dis-moi toujours ce que tu fais. Et, quand tu seras bien lasse de ne pas t’amuser, viens au moins t’ennuyer avec quelque chance de repos et de santé. (25 juillet.)


Ces sages avis n’empêchaient pas Solange d’aller griller à Aix-les-Bains le 5 août, et d’en revenir toute penaude. Toute cette agitation ne profite pas à sa santé. George Sand la voit à Paris, au mois de septembre, en mauvais état. Elle insiste pour qu’elle vienne en Berry. De Nohant, le 4 octobre, elle insiste encore. Qu’elle vienne, à une seule condition : pas de cheval. George Sand n’est plus d’âge à l’accompagner (récemment son cheval l’avait jetée rudement par terre), et la folle témérité de