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ordinaires, le journaliste Victor Borie, et le peintre Eugène Lambert. Ce fut sans doute l’Histoire de ma vie, qu’elle appelle quelque part « une assez bonne affaire, » qui défraya ce déplacement. Elle comptait néanmoins, autant qu’il était dans sa nature de le faire ; sa dépense, calculée à l’avance, laissait le moins possible à l’imprévu.

Le 18 mars au soir, elle arrivait à Rome. Son plan était de n’y séjourner que huit jours, puis de visiter Florence, et enfin de s’établir à la Spezzia, pour une station de repos. Maurice espérait pousser une pointe à Naples. Mais les finances le permettraient-elles ? (Lettre du 19 mars.) Là-dessus Maurice prend la fièvre romaine, souffre de la gorge, de la tête. Il faut partir. La colonie quitte Rome sur les instances du médecin, et gagne Frascati. Là Maurice se remet peu à peu, et George Sand fait part à sa fille de ses impressions. Solange avait dû faire, à la même date, un voyage en Belgique, ce qui explique pourquoi sa mère ne l’avait point prise dans sa caravane.


Frascati. 1er avril 1855.

… Nous avons quitté les splendeurs de la semaine sainte au moment où l’univers s’y précipitait. Nous sommes venus nous installer à Frascati, ce qui n’est pas la chose la plus facile du monde quand on n’est pas muni de beaucoup de piastres. Cependant nous avons trouvé pour un prix modeste le rez-de-chaussée de la villa Piccolomini. Un palais, rien que ça ; mais quel palais ! des fresques partout et des meubles nulle part ; pas mal de puces ; enfin, l’Italie de cette région et Majorque, ça se ressemble sous beaucoup de rapports. Ceci pourtant est plus beau comme nature ; et comme aspect, les habitations sont autrement seigneuriales. Mais elles ne sont guère plus closes, guère plus propres, et guère plus habitables par conséquent. Pourtant, nous arrangeons notre campement le mieux possible, et, au milieu des armoiries et des chapeaux de cardinal représentés sur tous les murs, nous commençons à goûter les délices du Chine vert [le thé ?]. Je me porte bien et Manceau aussi, ce qui nous rend très tolérans sur l’absence de bien-être. Maurice seul pourrait s’en plaindre, mais il s’en amuse tant que j’espère voir nos petites misères tourner bientôt à sa parfaite guérison.

Le pays est d’une beauté dont aucun récit ne pourra jamais donner l’idée. Frascati est une toute petite ville sur un des mamelons qui forment les premières assises des Apennins. L’endroit est assez élevé pour que de plain-pied, dans le jardin, nous voyions toute la campagne de Rome, et toute la chaîne des Apennins, de la Toscane aux Abruzzes ; et, au-delà de cette zone, nous voyons encore les têtes couvertes de neige de ces dernières. De l’autre côté, au-delà des plaines sans fin et tout unies de la campagne romaine, désertes, incultes, semées de troupeaux et criblées de ruines de tous les temps, nous voyons le Tibre se jeter dans la mer. Autour de nous