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dépit de sa mère, cette fois encore, son pèlerinage. Mais ce ne fut pas, comme George Sand le craignait, une chose « établie. » Nous ne retrouvons plus trace, désormais, de ces démonstrations à jour fixe. Solange était occupée ailleurs, ou voyageait, ou se distrayait. Elle n’oubliait pas pour cela. Elle n’oublia jamais. Jusqu’à la fin de sa vie assez incohérente, ce fut la plaie vive de son cœur. Elle renonça simplement à cette pratique extérieure, comme à d’autres. Elle donnait ainsi raison à sa mère, avec le temps. Mais le temps n’adoucit jamais la souffrance intérieure qui la poignait à la vue des enfans des autres. Toute sa vie, elle fut la mère douloureuse qui écrivait, en 1856 :


J’ai, au moment où je m’en gare le moins, des émotions violentes qui ressemblent à des coups de poignard. Il y en a qui ont des jupes courtes, des petites démarches cambrées qui me font illusion. Je les suis pendant un temps comme si c’était à moi, et puis je me précipite pour voir leur visage : et, en découvrant que ce n’est pas celui que je cherche, je deviens si féroce que j’étranglerais volontiers l’enfant qui m’a fait illusion.


Nous n’avons pas la réponse de George Sand à cette lettre. Sûrement, elle ne laissa point passer sans remontrance une telle violence de regrets. Mais quoi ! si Solange n’était point personnelle et emportée jusque dans un sentiment désintéressé par nature, elle ne serait point Solange. Elle souffrit assez de cette disposition pour qu’on lui soit indulgent.

Un indice plus grave est dans la phrase que l’on a lue plus haut : « Tu sais aussi que j’ai d’autres raisons pour éloigner ton retour ici. » Plus tard, en 1861, quand Solange voudra acheter un coin de terrain en Berry, et s’établir aux portes de Nohant, sa mère s’y refusera, et lui intimera en quelque sorte l’ordre de n’en rien faire. Pourtant, toutes les fois qu’elle le peut, entre 1855 et 1861, elle laisse venir, et même appelle sa fille chez elle. Ce sont les bons momens de Solange ; ce sont aussi les seuls où sa mère n’a pas d’inquiétudes à son sujet. Mais George Sand, dont la vie est chargée de travail et d’obligations, n’entend point être à la merci d’un coup de tête, d’une fantaisie. Elle choisit ses momens, elle fixe ses dates, et parfois ses conditions. Solange est à Nohant « chez sa mère, » et non chez elle ; on l’invite, elle ne s’invite pas. Précaution que George Sand jugea indispensable, et non pas seulement pour sauvegarder la liberté de son travail. Elle voulait aussi que Solange méritât Nohant, et reconnût par