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vie ? Quelle activité lui prescrire ? Ce cœur brisé ne va-t-il pas glisser peu à peu au culte amollissant, inerte, de sa propre souffrance ?

George Sand le craint ; mais elle veille. Sans vouloir détourner sa fille d’une douleur trop naturelle, elle la met en garde à l’occasion contre certaines complaisances inutilement accordées à son deuil. Son regard redresse et élève le regard de Solange. Si sa fille lui envoie le moulage des mains de l’enfant chérie, elle comprend et remercie, mais regrette « que cela soit comme poli et arrangé après coup par le mouleur. Cela n’a pas la vérité des deux charmantes petites menottes de son premier âge. Chère petite fille ! Je ne crois pas que notre esprit aille en dormant dans un autre monde : mais il ira pour tout à fait, et nous l’y retrouverons grande, belle, et se souvenant de nous. Nous ne devrions donc pas avoir tant de chagrin ; mais Dieu veut que nous en ayons et que nous le bénissions quand même (20 février 1855). » Ces lignes peuvent servir à dater les pages où elle raconte la vision qu’elle eut d’une Jeanne grande, belle, habitant un monde supérieur, et tout étonnée des larmes de sa grand’mère[1]. Pages elles-mêmes inachevées, comme sont nos douleurs, imprécises comme sont nos espoirs ! Si tout commence ici-bas, tout finit ailleurs. La force de cette conviction soutint George Sand, et l’éleva au-dessus de ces manifestations dont la piété ne déguise pas toujours assez la petitesse.

Son souvenir, à elle, était fait de transfiguration et d’idéal. Elle poursuivait, ai-je dit plus haut, crayon en main, les traits de l’enfant disparue. Était-ce pour la certitude de les saisir, ou pour la douceur de les caresser ? Solange lui offre une précision, et quelle précision ! le visage moulé de la petite morte.

Ne m’apporte pas ce masque, non ! je ne veux pas le voir ! Je cherche et retrouve sa figure sur des petits bouts de papier avec Manceau. Nous la voyons sous tous ses aspects différens. (24 février 1835.)


Il ne faut donc point s’étonner qu’au mois de janvier suivant, voyant Solange préparer un voyage à Nohant pour le triste anniversaire, elle s’attache à l’en détourner :


Laisse-moi te déconseiller ce voyage. Il te fatiguera et te fera du mal. L’âme de notre chère enfant est avec nous, partout et à toute heure. Sa

  1. Souvenirs et Idées, 1904.