Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/371

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

foule silencieuse, et arriva à la prison publique, où les autres avaient été amenés par les préteurs. Cette prison, voisine du temple de la Concorde, sur une des rampes du Capitule, avait été bâtie, dit-on, du temps des rois. On y montait par un escalier qui porte un nom sinistre. C’étaient ces gémonies où l’on jetait les cadavres des suppliciés et dont il est souvent question à l’époque impériale. « Elle contient, dit Salluste, une salle basse, nommée Tullianum, qui s’enfonce à douze pieds sous terre. Elle est fermée de murs épais et couverte d’une voûte de pierre. C’est un cachot malpropre, obscur, infect, dont l’aspect a quelque chose d’effrayant et d’horrible. Après qu’on y eut précipité Lentulus, les bourreaux, conformément aux ordres qu’ils avaient reçus, lui passant une corde autour du cou, l’étranglèrent. Ainsi finit ce patricien, de la grande famille des Cornelii, qui avait été honoré de la dignité consulaire. Après lui, ses complices furent exécutés de la même façon. » En sortant de la prison, Cicéron retrouva sur son chemin la foule inquiète, agitée de sentimens divers, qui ne savait pas le sort des conjurés et souhaitait l’apprendre. Se tournant vers elle, et ne voulant pas prononcer un mot de mauvais augure, il se contenta de dire : « Ils ont vécu. » Comme ses amis étaient en plus grand nombre, les applaudissemens éclatèrent. La nuit était venue ; les torches s’allumèrent de tous les côtés, les maisons s’illuminaient sur sa route, les femmes se mettaient aux fenêtres pour le voir passer, les hommes l’accompagnaient de leurs acclamations, l’appelant le sauveur, le second fondateur de la ville, et Catulus, le plus illustre des Romains de ce temps, le salua du titre de Père de la patrie. Ce nom fut, dans la suite, prodigué aux Césars, même à ceux qui méritaient le moins de le porter. Mais Juvénal fait remarquer que, la première fois que Rome l’a donné à l’un de ses citoyens, elle était libre, et que ce citoyen s’appelait Cicéron,


Roma patrem patriæ Ciceronem libera dixit.


VII

La conjuration était vaincue.

Cicéron avait bien raison de croire que la lutte se déciderait à Rome, et Catilina, en la quittant, commit une faute qui lui coûta la partie. Pendant qu’on étranglait ses amis dans le