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question de légalité. Caton ne permet pas même qu’on la pose. Il ne comprend pas qu’on parle de jugement et de justice. On est en pleine bataille, en face d’un ennemi en armes, qui menace la patrie. Le frapper avant qu’il ne vous frappe est un acte de légitime défense. Dans le discours de Cicéron, la légalité occupe juste trois lignes. « César, dit-il, invoque la loi Sempronia ; mais il n’ignore pas qu’elle a été faite en faveur des citoyens romains, et qu’un ennemi public n’est pas un citoyen. » Voilà tout. Dans le reste, on ne saisit pas le moindre doute sur l’étendue de son pouvoir. Il est tout à fait convaincu que le décret du Sénat l’a revêtu d’une autorité illimitée, ou, selon son expression, qu’il lui a livré la république. « Voilà longtemps, disait-il à Catilina, dans la première Catilinaire, que le consul aurait dû t’envoyer à la mort, et te faire subir le sort dont tu nous menaces. » Et ailleurs, il se fait dire par la Patrie : « Pourquoi n’ordonnes-tu pas qu’il soit jeté en prison, traîné à la mort, livré au supplice ? Qui t’en empêche ? » L’assurance avec laquelle il parle montre bien qu’il ne craint pas qu’on lui en conteste le droit. Soyons certains que tout ce qu’il a fait, il était convaincu qu’il pouvait le faire.

Est-ce à dire qu’en le faisant il fut tout à fait tranquille ? Assurément, non ; nous avons vu que la lecture des Catilinaires trahit à chaque instant ses inquiétudes. Il sait que les vieilles lois qui protègent la vie des citoyens existent toujours, puisqu’il les a lui-même invoquées. Il sait que la démocratie conteste la légalité de ce pouvoir d’exception dont il est revêtu, quoiqu’elle en ait usé sans remords quand elle était maîtresse. Il sait que ses ennemis ne demandent qu’un prétexte pour le poursuivre, lorsqu’il sera redevenu simple citoyen, et que la mort des conjurés le leur fournira. C’est contre ce danger que, tout en faisant ce qu’il regarde comme son devoir et son droit, il cherche à se prémunir. Voilà pourquoi il veut que le Sénat partage la responsabilité des mesures qu’ils ont prises ensemble. Après tout, les sénateurs les ont votées, et il a bien raison de leur, dire, à la fin de la quatrième Catilinaire, « qu’il n’a fait qu’exécuter leur arrêt. » Il n’ignorait pas qu’ils étaient prêts à tout rejeter sur lui, et il prenait ses précautions d’avance. Je ne sais pourquoi on le lui a si durement reproché. N’était-il pas juste que chacun eût sa part d’un péril auquel il s’était exposé pour tous ?

Il me semble qu’on saisit dans les Catilinaires une autre inquiétude qui même paraît avoir été plus forte chez lui