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cette occasion qu’il prononça cette phrase qu’on a si souvent citée dans les rhétoriques, comme un modèle de période bien faite : « la mort ne peut-être ni houleuse pour un homme de cœur, ni prématurée pour un consulaire, ni misérable pour un sage, neque enim turpis mors forti viro potest accidere, neque immatura consulari, nec misera sapienti. » Après tout, ce n’étaient pas seulement de belles paroles ; ce qu’il a dit, il le pensait. N’oublions pas qu’il est mort pour la république ; sachons-lui gré de l’avoir prévu et de s’y être résigné d’avance. Mais aussitôt après ces résolutions viriles, les inquiétudes le reprennent, et il ne nous les cache pas. Elles se manifestent par un tableau de sa famille éplorée, dont les larmes paralysent ses forces. « Je ne suis pas de fer, » nous dit-il, et il nous dépeint d’une façon touchante, mais assez peu opportune, la douleur de son frère et de son gendre, Pison, qu’il a sous les yeux, celle de sa femme et de sa fille, « désolées, éperdues, » dans sa maison, où il nous transporte. Ces alternatives se reproduisent dans tout le discours. Nous avons vu que c’est par elles qu’il l’a commencé ; c’est par elles aussi qu’il l’achève. Après avoir, dans ses dernières paroles, fièrement annoncé que son parti continuera d’être triomphant, « et que la ligue sacrée des honnêtes gens aura toujours raison de la violence des factieux, » il se ravise tout d’un coup pour laisser entendre qu’il est bien possible qu’il se trompe et pour recommander, si les méchans l’emportent, son fils, qui vient de naître, à la reconnaissance du Sénat. Nous sommes surpris et choqués de ces passages subits de la confiance à la frayeur ; il est très vraisemblable que ceux qui l’entendirent ce jour-là en furent moins étonnés que nous. Ces sentimens contraires se combattaient dans leur âme comme dans la sienne ; mais il faut bien reconnaître que ce n’est pas un bon moyen, pour dissiper les alarmes des autres, de leur montrer qu’on les partage.

Ce qui est encore moins fait pour amener des gens irrésolus à prendre nettement un parti et à s’y tenir, c’est de leur laisser voir qu’on n’est pas décidé soi-même. Or Cicéron, pendant tout son discours, n’a pas dit une seule fois d’une manière claire, définitive, ce qu’il conseille de faire. Deux opinions sont en présence, qui sont au fond très différentes ; toutes les deux paraissent le satisfaire également, parce qu’elles ont l’une et l’autre la prétention d’appliquer aux prévenus la peine la plus grave. Il