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paraissait pas soupçonner, et même il sembla que le péril lointain que dénonçait César s’était subitement rapproché et qu’il allait éclater. Les amis, les parens du consul, quittant leurs sièges, se groupèrent autour de lui, comme pour le défendre. Cicéron nous dit qu’ils pleuraient. Ce dut être une de ces scènes dont nous n’avons guère l’idée aujourd’hui, et qu’explique la vivacité démonstrative de ces natures méridionales. La situation était vraiment étrange : le Sénat se trouvait entre deux dangers, celui qui le menaçait de la part des conjurés, s’il était trop indulgent, et celui que César lui faisait entrevoir, s’il était trop sévère ; il avait l’alternative d’être victime de Lentulus et de ses complices, ou des vengeurs de Lentulus, et il ne savait quel parti prendre. Dans cette incertitude, tous les yeux se tournaient vers le consul. On s’était habitué à le voir, depuis quelques mois et surtout dans ces dernières semaines, conduire les événemens ; c’était lui, et lui seul, qui venait de tirer la république de tous ses embarras. On comptait sur sa parole souveraine pour faire la lumière et rendre le calme ; tout le monde souhaitait qu’il parlât. C’est dans ces conditions que fut prononcée la quatrième Catilinaire.

Par malheur Cicéron n’était pas exempt de ces inquiétudes qu’on lui demandait de calmer. Il était même naturel qu’il les éprouvât plus que les autres, puisqu’il comprenait bien que sa situation rendait sa responsabilité plus lourde. Avec son bon sens perspicace, il était convaincu d’avance qu’il paierait pour tout le monde. Sans doute il était décidé à faire son devoir jusqu’au bout, mais au moment même où il en prenait la ferme résolution, sa vive et mobile imagination le mettait en présence de l’avenir, et il ne pouvait s’empêcher d’en être effrayé. De là ces rapides successions de courage et de faiblesse qui se rencontrent déjà dans les premières Catilinaires, mais qui sont plus fréquentes dans la quatrième. Il est sous l’impression des menaces de César quand il prend la parole, et ne parvient pas tout à fait à cacher l’émotion qu’elles lui ont causée. Cependant son début est énergique ; il supplie ceux qui l’entourent et qui viennent de lui témoigner leur sympathie d’une façon si bruyante de ne pas s’occuper de lui, et de ne songer qu’à la république : « quoi qu’il m’arrive, je le supporterai sans me plaindre, et même avec plaisir, si mes malheurs servent à la gloire et au salut du peuple romain. » Sa vie même, tant de fois menacée par Catilina, il est prêt, s’il le faut, à en faire le sacrifice. C’est à