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autres, et je ne crois pas qu’il lui fût possible d’agir autrement. Souvenons-nous que le livre de Salluste est avant tout une œuvre de littérateur, destinée aux délicats : auraient-ils souffert un mélange de tons qui pouvait nuire à l’unité de l’ouvrage ? Passe pour une lettre de quelques lignes qu’on reproduit exactement, comme une curiosité ; mais le discours d’un personnage célèbre, dans une circonstance importante, c’est autre chose. Les lettrés l’attendent au passage et s’apprêtent à juger le talent de l’auteur sur la manière dont il exécutera son travail. Soyons sûrs qu’un homme d’esprit comme Salluste, et qui tenait à sa renommée, n’aura pas laissé échapper cette occasion de montrer ce qu’il savait faire.

Salluste avait approché César, et, comme il le connaissait bien, il pouvait le faire bien parler. Le discours qu’il lui prête est peut-être ce qui a le plus servi à fixer pour nous sa figure. On y trouve de grandes pensées exprimées simplement, des vues nouvelles et profondes, et point de pédantisme politique, de la finesse sans aucun étalage d’esprit. Celui qui par le est à la fois un homme d’État et un homme du monde. Il connaît parfaitement les gens qui l’écoutent, et sait le moyen de les prendre ; mais son adresse n’a pas le caractère de ces petites habiletés de rhéteur qui aiment à se faire voir et dont on tire vanité. Au contraire, elle se dissimule pour être accueillie sans méfiance. Il profite à merveille de la situation qui le fait cette fois le défenseur des vieilles lois et des anciennes traditions. Contre ses adversaires, qui sont les partisans obstinés du passé, il invoque les exemples des aïeux, et les désarme ainsi par avance de leurs argumens ordinaires. Est-ce bien lui, est-ce Caton qui dit : « Certainement la vertu et la sagesse étaient plus grandes chez nos pères, qui avec de si faibles ressources ont créé un si grand empire, que chez nous qui avons tant de peine à conserver ce bel héritage ? » Le début de son discours est surtout d’une adresse remarquable. Il n’ignore pas qu’il parle à des gens passionnés, furieux, qui ne sont plus maîtres d’eux-mêmes. Il se garde bien de les exciter encore davantage en les contredisant ouvertement. Il commence par des paroles graves et calmes, pour les ramener à la raison. Il semble que ces anecdotes historiques longuement rappelées, ces vérités générales, qui sont, presque des banalités, sur la nécessité pour ceux qui gouvernent les États de se posséder, de se contenir, de ne pas céder à leurs emportemens,