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Nous sommes libres de fixer nous-mêmes cette durée, en nous inspirant des circonstances. Hâtons-nous de le dire, c’est là une question de bon sens et de bonne foi. Il y aurait quelque chose d’abusif, de peu sincère, de peu loyal, à invoquer nos règles spéciales pour autoriser une grande flotte belligérante à séjourner dans nos eaux territoriales, surtout à proximité du théâtre de la guerre, et si nous ne l’avons pas fait à Diego-Suarez, comment aurions-nous pu le faire à Camranh ? Les Japonais auraient eu raison de s’en plaindre : aussi sommes-nous convaincu que l’occasion ne leur en a pas été donnée, et que si l’amiral Rodjestvensky a, pour un motif quelconque, relâché un moment dans les eaux françaises, ce n’était pas avec l’intention d’y demeurer.

Rien n’est plus naturel que l’état d’esprit qui se manifeste à Tokio. Si nous étions à la place du Japon, nous éprouverions sans doute la même sensibilité, la même susceptibilité que lui. Toutefois, avant de céder à ces sentimens, il faut en contrôler la légitimité en s’assurant de l’exactitude des faits qui y donnent naissance ou prétexte. On sait où vont nos sympathies dans la guerre actuelle ; elles vont aux Russes qui sont nos alliés en Europe, et nous ne le cachons nullement. Mais nous n’oublions pas que nous avons toujours eu de bons rapports avec les Japonais, et, sans parler de l’estime que méritent les grandes qualités qu’ils viennent de déployer, nous conservons à leur égard les mêmes dispositions amicales que par le passé. La guerre qui se déroule nous émeut et nous afflige ; elle ne nous atteint pas ; nous sommes en dehors d’elle. L’attitude que nous avons prise dès le début et que nous entendons garder jusqu’à la fin est celle de la neutralité. Puissions-nous, en nous y tenant avec une correction absolue, inspirer assez de confiance aux Japonais comme aux Russes pour aider un jour à leur réconciliation !


FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-Gérant, F. BRUNETIERE.