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politique à suivre ; mais il ne l’est pas, et, s’il l’a été un moment, il ne l’est plus. Le gouvernement est uni et solidaire. C’est comme tel qu’il s’est présenté à la Chambre, et c’est comme tel qu’il doit continuer d’apparaître aux yeux du monde.


L’affaire de Camranh, dont on a aussi beaucoup parlé ces derniers jours, ne paraît pas avoir eu l’importance que quelques journaux lui ont attribuée. La flotte de l’amiral Rodjestvensky était-elle vraiment entrée dans les eaux territoriales françaises en Indo-Chine ? On l’a cru au Japon, et l’opinion publique en a été assez vivement émue. Quoi qu’il en soit, ou quoi qu’il en ait été, il n’a jamais été dans nos intentions, ni dans celles de la Russie, de laisser porter ou de porter atteinte à notre neutralité. La Russie en a d’ailleurs donné la preuve immédiate, puisque l’empereur Nicolas a envoyé des ordres à l’amiral Rodjestvensky pour qu’il prît à cet égard toutes les précautions nécessaires. L’amiral a immédiatement quitté la baie de Camranh. Le fait d’y être entré n’est pas par lui-même une violation de notre neutralité : on n’aurait pu attribuer ce caractère qu’au fait d’y rester pour faire des préparatifs de combat.

Ces questions de neutralité, et de passage ou de séjour de navires de guerre dans les eaux territoriales d’un pays neutre sont l’objet de beaucoup de controverses, qui viennent en partie de ce que toutes les nations n’ont pas à ce sujet les mêmes règles. Les nôtres sont très larges ; mais elles sont ce qu’elles sont ; nous les avons toujours défendues, et on conviendra qu’il n’y aurait pas une raison suffisante d’en changer au cours de la guerre actuelle dans le seul fait qu’elles profiteraient à la Russie. La limite de trois milles en mer à partir du rivage est universellement adoptée comme étant celle des eaux territoriales. Peut-être est-elle trop courte, étant donnée la portée nouvelle des armes de guerre ; mais, en attendant qu’on l’ait changée, nous ne pouvons évidemment pas demander aux Russes de se tenir encore plus loin. Pendant les deux mois et demi qu’elle a passés dans le voisinage de Madagascar, nous avons de sérieuses raisons de croire que la flotte russe s’est tenue soigneusement en dehors de nos eaux territoriales. Mais, encore une fois, quand même elle y serait entrée, on n’aurait pas eu le droit de dire que notre neutralité aurait été violée ipso facto. Nos règles de droit public autorisent, en effet, comme le font d’ailleurs celles de toutes les autres nations, l’entrée de navires de guerre dans nos eaux territoriales, et, contrairement à quelques autres, elles n’imposent à leur séjour aucune limitation de durée.