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redoublait, s’aggravait en vertu de causes lointaines et multiples, faites de la violence des uns et de la complaisance des autres. Le moment est venu où des actes de sauvagerie et de pillage ont été commis. Des bandes ouvrières se sont portées sur une usine où une automobile a été brûlée. C’était peu de chose encore : la foule se sentait désarmée. Tout d’un coup, elle s’est jetée sur plusieurs boutiques d’armuriers et les a dévalisées. Le préfet n’a pas hésité. Il a enlevé la direction de la police au maire pour s’en charger lui-même et, dans la nuit, quelques-uns des meneurs qui s’étaient emparé de fusils et de revolvers ont été arrêtés.

La journée du lendemain a été décisive, mais, hélas ! sanglante. Le préfet avait interdit par un arrêté les promenades en bandes dans la rue : son arrêté n’a empêché les bandes ni de se former, ni de grossir sans cesse, ni d’envahir la voie publique. Bientôt le préfet a été sommé de le retirer. En même temps, on lui demandait impérativement la mise en liberté des prisonniers, qui étaient d’ailleurs des repris de justice. Le préfet, se rendant compte de la gravité de la situation, n’a pas voulu prendre sur lui la responsabilité de la réponse à faire à ces injonctions : il en a référé au ministre de l’Intérieur. Celui-ci n’a pas hésité. Le retrait de l’arrêté préfectoral, la libération des prisonniers auraient été une abdication : il n’aurait pas valu la peine d’avoir enlevé la police au maire pour faire pis que lui. Par malheur, les imaginations s’étaient de plus en plus montées en attendant la réponse de la préfecture, et lorsqu’elle est venue à la nuit tombante, négative comme elle devait l’être, la foule s’est abandonnée à une explosion de colère. Elle s’est précipitée sur la prison avec des poutres pour enfoncer les portes, et les portes ont été, en effet, à moitié enfoncées. Alors il a bien fallu faire intervenir la force armée. Sur certains points de la ville, les charges de cavalerie ont été impuissantes ; on a eu recours à l’infanterie. La nuit était venue ; on ne se voyait pas ; nos malheureux soldats recevaient une pluie de projectiles divers, dont quelques-uns auraient pu être meurtriers. Au milieu de l’émotion à laquelle tous étaient en proie, quelques coups de fusil ont été tirés sans ordre et un homme est tombé mortellement atteint. La foule s’est dispersée aussitôt. Lorsque le triste événement a été connu, il y a eu partout une véritable stupeur. Personne, à coup sûr, n’avait voulu ce qui venait d’avoir lieu ; mais qui peut dire, qui peut mesurer et surtout qui peut arrêter les mouvemens inconsciens qui se produisent en pareils cas ? Il y a vraiment alors des fatalités inéluctables. On est encore heureux lorsque, comme à Limoges,