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veille de la réalisation de l’âge d’or. La police est devenue singulièrement lâche et flottante : en réalité, il n’y en a presque plus à Limoges depuis plusieurs mois. Dans un milieu aussi bien préparé à la recevoir, la propagande anti-militariste a fait de rapides progrès : nulle part ailleurs, peut-être, les mauvais sentimens contre l’armée ne se sont développés d’une manière plus redoutable. On a pu s’en apercevoir lorsque le général Tournier, mis à la tête du 15e corps d’armée, a pris possession de son commandement. Le général Tournier avait été une des victimes du général André, la principale même : il a été relevé d’une disgrâce imméritée par M. Berteaux, et c’est peut-être même la meilleure mesure qu’ait prise le nouveau ministre de la Guerre ; c’est celle dont tous ceux qui aiment et qui respectent l’armée lui ont su le plus de gré. Le général Tournier, en effet, avait été frappé parce qu’il n’avait pas voulu se prêter au régime de la délation, ni subir le joug de la franc-maçonnerie. La ville de Limoges se serait honorée en lui faisant un accueil courtois et sympathique ; elle lui en a fait un tout différent. Il a été reçu avec des cris, des vociférations, des outrages : pendant plusieurs jours, des manifestations bruyantes ont eu lieu au siège de l’état-major général, et les officiers ont été publiquement menacés et insultés. Aucun d’eux n’a bronché. Que faisait, pendant que se déroulaient ces scènes brutales, la municipalité de Limoges, chargée de la police de la ville ? Rien : elle se croisait les bras. Le maire, M. Labussière, a raconté, alors et depuis, qu’il s’était opposé de toutes ses forces à l’envoi du général Tournier à Limoges, en assurant que l’ordre serait troublé si on ne tenait pas compte de ses aver-tissemens. On n’en a pas tenu compte ; il fallait donc bien que l’ordre fût troublé, et cela n’a pas manqué d’arriver. La grève de Limoges, qui, dans des circonstances ordinaires, aurait été une grève comme une autre, a pris tout de suite un caractère alarmant. On sentait couver, on entendait gronder l’incendie qui allait éclater. Le maire, toujours chargé de la police en vertu de la loi, n’avait ni l’autorité nécessaire pour l’exercer, ni peut-être une assez forte volonté de le faire, car il avait des ménagemens à garder envers sa clientèle. Et puis, il conservait une idée fixe : c’est que l’ordre, à Limoges, était incompatible avec la présence du général Tournier. L’attitude de celui-ci était pourtant parfaite. A la veille de l’émeute, il a adressé à ses troupes un ordre du jour qui pourrait servir de modèle : la correction en était telle que les journaux socialistes eux-mêmes n’ont trouvé rien à y reprendre. N’importe : l’agitation continuait,