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puits d’appel, on trouve, longtemps encore après le passage d’un train, que la composition de la colonne d’air est très différente d’un point à l’autre. On rencontre des régions où la fumée est épaisse, l’air immobile et chaud : il est opaque au point que l’on ne peut apercevoir les fanaux disposés de distance en distance. Ailleurs, au contraire, entre deux autres cheminées d’appel, l’air est transparent, léger et bien mélangé.

Pendant les sept heures que le savant italien a passées dans le tunnel, il n’éprouva que des troubles relativement bénins : un affaiblissement de la mémoire, un peu de surdité, une augmentation de température du corps, un peu de moiteur de la peau, un état de fatigue disproportionné à l’exercice accompli, le défaut d’appétit. Ce sont là des manifestations très atténuées du mal des tunnels. Les symptômes confirmés ne se sont bien développés qu’au moment de la sortie et dans les heures qui suivirent. Le mal de tête d’abord léger devint bientôt pénible : des sensations de nausée s’y joignirent, qui aboutirent à des vomissemens : la faiblesse, l’abattement, le malaise furent extrêmes et se prolongèrent jusqu’au lendemain matin.

Il est vraisemblable que si l’observateur avait répété l’épreuve, il n’en aurait pas éprouvé, toutes les fois, des suites aussi pénibles. Beaucoup d’employés qui ont eu un aussi mauvais début se sont habitués ensuite plus ou moins facilement à ces conditions nouvelles, n n’en est pas moins vrai que cette première tentative s’était liquidée par un véritable empoisonnement, où l’observateur pouvait reconnaître les caractères du caldana.

L’organe qui ressent les premiers effets de l’air des tunnels, c’est le cerveau. Le mal de tête n’est que le signe d’un trouble dans le fonctionnement et la nutrition de cet organe. La douleur, en effet, s’accompagne ici d’absence de mémoire, d’incapacité de travail, de confusion dans les idées. Les employés des tunnels constatent chez leurs camarades, quand ceux-ci ont respiré la fumée d’un train, cette paresse de l’esprit qui entraîne des erreurs d’appréciation et de direction, cet affaiblissement de la mémoire et cette obnubilation des sens, et particulièrement de l’ouïe, que l’observateur italien a notés sur lui-même. C’est au même ordre de phénomènes que se rattache le vertige, qui est un des symptômes fréquens et dangereux de l’empoisonnement des tunnels. C’est celui que redoutent le plus les mécaniciens, les chauffeurs et les serre-freins. Ce vertige est quelquefois l’avant-coureur d’une perte complète de connaissance, d’un évanouissement d’où les sujets sortent au bout d’un temps plus ou moins long.