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son procédé nous parait également inqualifiable. Mais pendant qu’il subit l’invective de son frère, nous sentons que quelque chose faiblit chez l’abbé Daniel, qu’un doute, une appréhension, une terreur s’éveille en lui. C’est la pièce qui rebondit, et c’est l’intérêt de psychologie qui se renouvelle.

Car on a reproché au début du troisième acte d’être languissant ; on s’est plaint que tour à tour la duchesse de Chailles et l’abbé Daniel vinssent nous faire entendre une confession inutile. Tout au contraire, ces deux morceaux étaient nécessaires dans un drame qui est celui de la conscience religieuse. Nous sommes, cette fois, dans le salon des Missions. Quinze jours se sont passés. La duchesse de Chailles, qui n’a plus revu ni l’abbé Daniel ni le docteur Morey, est venue trouver Mgr de Bolène. Elle lui fait part de la résolution qui, maintenant, est la sienne : elle veillera jusqu’au bout sur l’infortuné dont on a fait son mari ; elle assistera à cette agonie, qui d’ailleurs ne peut plus guère se prolonger. Après cela, elle entrera dans la vie religieuse ; l’ordre le plus austère est celui qu’elle choisira : il n’est humiliations et tortures par lesquelles il ne lui tarde de se mortifier. Le missionnaire écoute ces paroles ardentes sans étonnement et sans émoi : dans cette fureur de s’humilier, il n’a pas eu de peine à reconnaître un des caractères que prend volontiers la piété chez certaines âmes, encore neuves à la dévotion, et qui est l’orgueil. De son côté, l’abbé Daniel’ déclare qu’il est désormais indigne d’être prêtre, qu’il a perdu non seulement la quiétude de l’esprit, mais la foi elle-même et qu’il est un grand coupable. Avec la même bonhomie bien portante et souriante, le missionnaire accueille ces plaintes dont l’accent ne lui est pas nouveau. L’abbé Daniel souffre de cette maladie du scrupule, à laquelle les plus pieuses entre les âmes sont sujettes. Il a besoin de changer de milieu : il ira faire un tour chez les sauvages, à titre de missionnaire ; cela est souverain comme remède à nos maux d’extrêmes civilisés.

Il faut conclure. Tout nous achemine à un dénouement, qui était le seul possible, et qu’au surplus on avait eu soin de nous faire prévoir dès les premières scènes. Si on a fait du duc de Chailles un malade parfaitement incurable et condamné sans appel, c’est apparemment qu’on avait besoin de sa mort. Au début du troisième acte, nous apprenons en effet que cet enragé morphinomane, dans un accès de délire, s’est jeté par la fenêtre de son hôtel, et qu’on est occupé, en lavant le pavé de la cour, à effacer les dernières traces de cette inutile destinée. La duchesse de Chailles est libre. Et elle est, aussi peu que personne, faite pour la vie religieuse. Elle doit être femme et mère :