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robuste, l’assurance et la vigueur tranquille de son tempérament de lutteur. Il traite par le mépris les mièvreries de l’âme moderne. Il sauve le pécheur en le rudoyant. Sa piété est la forme que prend chez cet apôtre taillé en athlète l’énergie combative.

Comme il faut bien que tous ces personnages en viennent à se rencontrer et qu’ils soient mis aux prises, nous les verrons défiler dans le cabinet du docteur Morey où les amènent divers prétextes. Pour rendre le duel plus âpre, l’auteur imaginera que l’abbé et le docteur sont deux frères ennemis. La duchesse de Chailles, médiocrement croyante, mais chez qui se réveille une ancienne religiosité, se sera agenouillée au confessionnal, sans savoir que le prêtre auquel elle s’est adressée fût précisément le frère de l’homme qu’elle aime… Cela sans doute est un peu artificiel ; mais plus l’essence morale de la pièce était subtile, et plus les ressorts du drame devaient être tendus.

Le deuxième acte, qui est celui des rencontres et des reconnaissances, est de tous points admirable pour la vigueur, la franchise et l’emportement. Nous avions quitté la duchesse de Chailles au moment où elle avait promis sa visite à Morey pour le lendemain. Comme elle s’acheminait déjà au rendez-vous, elle a été reprise de scrupules ; elle a obliqué, elle est retournée s’abîmer dans la confession et dans la prière. N’ayant pas rencontré le prêtre à l’église, elle est, dans son ignorance des règles ecclésiastiques, allée le trouver chez lui. Morey la rejoint, et, l’abbé ayant été appelé auprès d’un mourant, il reste seul avec elle pour cette explication décisive, que nous attendions et qui s’imposait. C’est une des scènes maîtresses de la pièce ; car c’est ici que chacun des deux personnages nous livre le fond de son âme, que se heurtent les deux morales, et que se répondent les argumens vivifiés par la passion. Cette scène en aura pour pendant une autre de même ordre et de même beauté : celle où les deux frères seront mis en présence et en antagonisme. Quel intérêt peut avoir le prêtre à empêcher que la duchesse de Chailles ne devienne la maîtresse de l’homme qu’elle aime et qui l’aime ? Il y a un infâme soupçon, il y a une basse accusation : Morey n’hésite pas à la ramasser pour la jeter à la tête de son frère. Cet abbé, s’il veut si fort le salut de sa pénitente, c’est qu’il éprouve pour elle un sentiment où la charité chrétienne n’est que le masque de l’amour profane. Il est jaloux, tout bêtement ; et c’est le vrai secret de sa sévérité. Morey ne s’est-il servi de cette atroce insinuation que comme d’une arme ? Ou bien est-il de ceux qui, naturellement et par habitude de manie antireligieuse, salissent les rapports du prêtre et de la femme ? Dans les deux cas,