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susceptibles d’être atteints par la mobilisation. On estima à une centaine le nombre des bâtimens condamnés. Des listes furent publiées. On y trouvait de tout : des croiseurs cuirassés, des croiseurs protégés, des cuirassés de la première époque du fer, des canonnières, des torpilleurs, des navires construits il y a moins de quinze ans, et de nobles vétérans de la marine en bois, vieux de plus de cinquante ou soixante ans. Quelques-uns des bâtimens, portés sur la liste des déchus, portaient des noms illustres, le Collingwood, le Sans-Pareil, le Superb ; parmi les croiseurs cuirassés, il y avait tous les bâtimens de la classe Orlando, lancés en 1887 : Tous ces navires ne seront pas sacrifiés. Il en est qui, ayant encore quelque valeur, seront conservés à proximité des grands arsenaux, et pourront éventuellement être mis, dans un délai de trois mois, en état de service, mais ils ne seront plus l’objet d’aucuns travaux de réparation en temps de paix. Les autres seront vendus aux enchères[1].

Cette liquidation brutale de l’ancienne flotte a soulevé de nombreuses critiques en Angleterre. Elle apparut à l’opinion publique d’autant plus singulière qu’elle embrasse des navires qui passaient, il y a fort peu d’années, pour des merveilles d’architecture navale, et pour lesquels on trouverait inscrits dans de tout récens budgets des crédits importans, visant certaines réparations qui devaient moderniser ces bâtimens et les rendre tout à fait capables de fournir encore un excellent service. Ces crédits ont été dépensés, les réparations et améliorations ont été effectuées, et maintenant, ces bateaux modernisés sont mis pêle-mêle au rebut avec des unités démodées, legs sans valeur d’une génération précédente.

Dura lex, sed lex, répondit lord Selborne aux critiques. Oui, des sommes importantes ont été ainsi dépensées, dont l’utilité

  1. Le 4 avril 1905, ont été mis en vente dans le port de Chatham, et adjugés au plus offrant, 29 bâtimens, dont un cuirassé et douze croiseurs, toute une flotte de guerre représentant une valeur initiale de 75 millions de francs. Parmi les croiseurs figuraient des bâtimens, comme le Warspile de 8 500 tonneaux, qui avaient été l’objet d’importans travaux de réfection depuis 1895. Une loi inexorable les rejetait avec leurs congénères dans le lot des inutilités. Les bâtimens ainsi mis en vente ne peuvent être adjugés à une puissance étrangère. Les acquéreurs s’engagent ; il ne point faire usage des bâtimens achetés, ils doivent les démolir dans le délai d’une année. Le produit total de la vente a été de £ 138 000 (environ 3 500 000 fr.).
    Le nombre des bâtimens qui seront conservés, pour être remis éventuellement, dans le cas de guerre, en état de prendre la mer, est de 63. Celui de ceux qui sont définitivement condamnés est de 64.