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philosophie du mouvement formidable d’expansion des forces navales britanniques, dont on peut fixer le point de départ au vote du Naval Defence Act en 1889 et le point d’arrivée aux innovations radicales annoncées par le memorandum du 6 décembre 1904, et aujourd’hui en plein cours d’exécution.

À ces innovations lord Spencer présentait pour la forme quelques vagues objections, qui semblaient solliciter elles-mêmes d’être réfutées, et elles le furent sans peine en effet par lord Selborne, initiateur responsable des changemens survenus, et par le vicomte Goschen qui se fit l’avocat chaleureux de l’œuvre de son successeur. Dans tout le cours du débat, ce qui fut parfaitement visible, c’est que les trois hommes étaient d’accord indissolublement sur un point, et qu’ils représentaient ensemble la politique d’ « une grande marine pour un empire mondial » en face de la politique d’« une petite marine pour une petite Angleterre[1]. »

On ne saurait contester aux Anglais, et on ne l’a jamais fait, au surplus, une qualité, précieuse pour les individus, plus précieuse encore pour les nations, la tenace persévérance dans un dessein une fois adopté, tenacem propositi populum. Nous avons montré à cette place, dans une étude antérieure[2], comment l’opinion publique en Angleterre, sortant brusquement, en 1889, d’une trompeuse sécurité, eut le sentiment qu’elle était à la veille de perdre sa traditionnelle suprématie maritime, si ce n’était déjà chose faite, et comment elle imposa aux gouvernans de l’époque, qui n’y songeaient guère, l’obligation de reconstituer une marine britannique digne de ce nom. L’élan ainsi donné subit un certain ralentissement à l’arrivée des libéraux au pouvoir quatre années plus tard, et lord Spencer, ministre de la marine dans le cabinet Gladstone, ne paraissait point disposé à signaler son administration par le moindre coup d’éclat, lorsqu’une nouvelle et très vigoureuse poussée de l’opinion publique l’obligea à faire contresigner par M. Gladstone et à présenter au parlement le

  1. The Fortnightly Review, avril 1905. Admiralty Policy and its Critics, by Archibald S. Hurd.
  2. Voyez dans la Revue du 1er mars 1904, La Grande-Bretagne et la suprématie maritime.