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un de ses plus beaux ouvrages, un de ceux qui résument le mieux le caractère m Ame de la forêt et celui de son propre talent : Le Chêne de roche exposé au Salon de 1861, un vieil arbre ragot, meurtri et ravagé par le temps, fortement cramponné au sol par des racines noueuses et tendant vers le ciel ses branches convulsivement tordues, avides d’air et de lumière. Les rochers qui l’étreignent de toutes parts, les cicatrices et les plaies béantes de son écorce tourmentée, sa tête décapitée et ses bras rompus ou fracassés attestent éloquemment sa lamentable existence et les terribles assauts qu’au cours de sa longue carrière il a dû supporter. Aujourd’hui, la saison est plus clémente au pauvre lutteur et dans l’air tranquille, il étale au soleil ses membres endoloris et son robuste feuillage que troue par places le bleu du ciel étincelant, vibrant comme l’azur radieux d’un vitrail. En réalité, le chêne qui a fourni à l’artiste le motif de ce tableau n’était, paraît-il, qu’un arbre chétif et assez insignifiant, près duquel il était passé plus d’une fois sans le remarquer, jusqu’à ce que, par une belle journée d’été, s’avisant tout à coup du parti dramatique qu’il en pouvait tirer, il l’eût ainsi transfiguré.

Comme Flaubert et Taine, dans les courtes descriptions qu’ils nous ont laissées de la forêt, comme Michelet qui a beaucoup pratiqué et admiré « cette contrée étrange, sombre, fantastique et stérile, » Rousseau ne se lasse pas d’insister sur les aspects de farouche rudesse et de force qui l’ont surtout frappé. Bien mieux que le hêtre à l’écorce lisse et blanchâtre, et aux masses de feuillage mollement arrondies, le chêne était son arbre de prédilection ; il en aimait le port plus volontaire, la rainure nerveuse, la silhouette capricieusement découpée. Parmi les humbles végétations de la forêt, c’étaient les plus hérissées : les houx, les genévriers, les bruyères, les genêts, qu’il représentait le plus volontiers, de sa touche ferme et incisive. Détail curieux, dans ses Sous-Bois, vous ne rencontrerez jamais les tapis de fougères qui abondent sous le couvert des futaies : leurs frondes souples, légères et délicatement évidées n’ont jamais tenté ses pinceaux. Dans ses conversations, dans ses lettres, Rousseau revenait souvent sur cette idée de force qu’il cherchait surtout à exprimer et sur l’isolement qui convient à la vie laborieuse de l’artiste. On dirait que c’est de lui-même qu’il veut parler quand, sous une forme un peu subtile et embarrassée, mais avec autant de sincérité que de justesse, il écrit à un ami : « Il faut qu’un sauvageon