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il s’appliquait à montrer la diversité de ses aspects et à faire ainsi de l’ensemble de ses œuvres comme un grand poème composé en son honneur. C’est de cette époque que datent quelques-uns de ses meilleurs ouvrages. Nous nous bornerons à citer les principaux, ceux qui peuvent, en quelque sorte, servir de types. Dans les Chênes, qui, provenant de la galerie d’Édouard André, sont entrés au Louvre avec la collection Thomy-Thiéry, le paysagiste a représenté, en plein été, les grands arbres qui se dressaient au milieu de la plaine bordée par les coteaux d’Apremont. Du haut d’un ciel pommelé, le soleil dardant ses rayons sur les vieux chênes découpe nettement sur le terrain leurs ombres fortes et courtes. Il a plu la veille et quelques flaques d’eau persistent encore dans les gazons dont la verdure rafraîchie contraste avec le sombre feuillage des arbres. C’est à la fois l’opposition de ces verts si différens et celle de la lumière éclatante avec l’intensité des ombres qui a tenté le peintre et qu’il a su exprimer avec une puissance singulière.

C’est aussi en plein été que Rousseau a peint le Vieux Dormoir du Bas-Bréau, qui appartient également au Louvre. Mais ici les arbres, au lieu de nous être montrés tout entiers, sont coupés à mi-hauteur par le cadre. L’idée première de ces Sous-Bois, jusqu’alors négligés par les paysagistes, a été suggérée au maître par la nature elle-même. En nous permettant de mieux apprécier les imposantes proportions de ces arbres gigantesques qui, enveloppés de fourrés épais, ne peuvent être embrassés dans toute leur hauteur par le regard, ces compositions, ainsi délimitées, nous placent au cœur même de la forêt et nous font pénétrer dans son intimité.

Tous les arrangemens pittoresques de lignes, de tonalités et d’effets que peut offrir la nature, Rousseau les a expérimentés et pratiqués. En les combinant entre eux, il en a tiré un merveilleux parti. C’est ainsi que dans la Sortie de forêt du côté de Brôle (Musée du Louvre), qui fut exposée au Salon de 1851, il sait très heureusement associer deux dispositions décoratives très différentes pour exprimer à la fois le calme de la forêt et celui de la campagne au déclin du jour. Groupés sur la lisière du bois, quelques troncs de chênes et de hêtres séculaires se détachent en vigueur sur un ciel doré où flottent de légers nuages empourprés par le couchant. Placés au premier rang et plus exposés aux intempéries, ces vétérans, tracassés par la foudre ou déchirés par