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études passagères ; mais Rousseau entendait s’y fixer d’une manière définitive. C’est à Barbison, qu’il s’installait en 1847, dans une maisonnette louée à un paysan. Une grange attenante était, à peu de frais, convertie par lui en atelier. Il était là bien placé, au centre même des sites dont il devait rendre célèbres les vieilles appellations : le Bas-Bréau, Jean de Paris, la Reine-Blanche, les Monts-Girard, la Vallée, et les Gorges d’Apremont. Alors commença pour lui une vie remplie de travail et d’enchantemens. La grande forêt lui appartenait ; à tous les momens de l’année, à toutes les heures du jour, il pouvait voir, et revoir ses coins favoris, y choisir ses motifs, chercher quel ciel, quelle lumière, quel effet s’accordaient le mieux avec leur caractère.

Muni du pochon de toile qui contenait son frugal repas, il partait de bon matin et, durant des journées entières, absorbé dans sa tâche, il goûtait les fécondes ivresses de ce travail en plein air qui, à chaque instant, lui révélait autour de lui des beautés nouvelles. À la nuit tombante, il ne se décidait qu’à regret à regagner son gîte et, au retour, sous la lumière décroissante, la haute futaie prenait des aspects encore plus mystérieux et plus imposans. Il avait un culte pour les vieux arbres et ne se lassait pas de les dessiner. Souffrant, comme d’offenses personnelles, des injures qui leur étaient faites, il vouait aux Dieux infernaux les agens forestiers quand il les voyait marquer, pour une destruction prochaine, des chênes séculaires, présider aux plantations de pins dans les cantons rocheux, ou diriger les prétendus assainissemens de la Mare aux Évées.

Dans ce milieu si nettement caractérisé et si bien fait pour lui, son talent prenait plus de force et d’autorité. La nature seule lui semblait intéressante et il pensait qu’elle doit se suffire. Suivant lui, tous les élémens d’un paysage doivent être liés étroitement entre eux et former un tout d’une homogénéité parfaite. Pour qui sait voir et observer, un arbre raconte son histoire ; il est tel que l’ont fait le terrain où il a poussé, les abris qui le protègent ou les intempéries auxquelles il est exposé. Toutes ces conditions comportent leurs conséquences logiques ; toutes, quand l’artiste les respecte, marquent la loyauté de l’image et la gravent plus profondément dans l’esprit du spectateur. Elles impliquent un idéal en apparence très simple et, de fait, très compliqué. Il faut que, sans se lasser, celui qui s’y conforme sollicite incessamment de la nature les enseignemens nouveaux