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L’ISOLÉE





DEUXIÈME PARTIE[1]





Ce furent alors les dix derniers jours. D’un accord tacite, Pascale et son père ne parlaient plus de l’imminente séparation. Lui, il s’était promis d’être brave, « pour mériter ; » elle s’appliquait à être charmante, pour remercier le vieux Mouvand. Elle y réussissait. Elle achevait de se faire aimer. Ce furent, pour l’ouvrier et pour sa fille, des jours tout remplis de la joie amère d’être ensemble pour peu de temps, d’une joie qu’on exprimait, sur laquelle on revenait, qu’on aurait voulu augmenter encore, parce qu’on sentait en dessous la secrète douleur de la fin prochaine. Quand ils se regardaient l’un l’autre, chacun, dans les yeux qu’il interrogeait, apercevait la même date ineffaçable, et chacun souriait, pour faire croire : « Je ne la vois pas. » Pascale était gaie à cause de lui, et elle arrivait à lui faire illusion. Elle voulait lui laisser la vision intacte d’une Pascale heureuse jusqu’au bout. Un matin, elle avait étendu, sur la table de sa commode, les deux robes d’été qu’elle possédait, l’une pauvre et usée, en laine légère de deux gris, l’autre de cotonnade blanche à fleurs mauves, presque élégante, tuyautée au col et aux manches. Voulait-elle les revoir ? Les loucher une fois encore ? Les donner ? Son père qui, depuis le retour de Nîmes, quittait souvent le métier pour venir faire un « brin de causette » dans la cuisine

  1. Voyez la Revue du 15 avril.