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que de coutume. Son valet de chambre, interrogé, suggéra qu’elle devait ce supplément de poids à la poudre nouvelle, la terre d’Ane, près de Schneeberg. Frappé de ce mot, le chimiste se fait apporter une provision de cette substance et, après plusieurs expériences, reconnaît dans cette argile le fameux kaolin des Chinois. En Chine, l’invention avait, paraît-il, coûté la vie à son auteur, le « dieu de la porcelaine, » qui, pour réussir une cuisson, se je la dans le four. En Europe, elle sauva l’inventeur. Quoiqu’il ne se porte plus de perruques poudrées, le kaolin n’en a pas moins conservé son rôle dans la toilette : nos parfumeurs en font aujourd’hui de la poudre de riz. Les papetiers l’introduisaient aussi dans leurs papiers ordinaires pour en diminuer le prix de revient, jusqu’à l’apparition de la pâle de bois, dont l’usage procure des résultats meilleurs.

Auguste II, sur le rapport d’une commission favorable, s’empressa d’acquérir le monopole d’exploitation du kaolin, enfermé, au fur et à mesure de son extraction, dans des tonneaux scellés du sceau de l’Etat que surveillaient des agens assermentés. Quoique nul, en dehors de la citadelle de Moisson convertie en fabrique, ne pût utiliser la précieuse argile « sous peine de mort, » moins de dix ans après, les secrets s’étaient envolés, vendus par Bœttger lui-même, disent les uns, en tous cas successivement dérobés d’une ville à l’autre de l’Allemagne : le Hollandais Dupasquier séduit un « arcaniste » de Meissen et fonde, grâce à lui, la manufacture de Vienne (1718). Il est à son tour volé par Ringler qui crée les ateliers de Hœchst (1740). Ringler enfin, habile chimiste mais un peu ivrogne, est volé par Caspar Vegely qui le grise, profite de son ivresse pour prendre copie des recettes qu’il portait toujours sur lui et établit la fabrique de Merlin. Le Grand Frédéric lui fournit des ouvriers, enlevés en Saxe à la baïonnette.

En France les recherches continuaient sans profil. Nos potiers blanchissaient l’argile avec du soufre, de l’arsenic, du nitre, du mercure précipité, du tartre et du sel marin. Tantôt la transparence était trop grande, tantôt la couleur trop bise. Réaumur, après analyse des céramiques chinoises, avait nettement établi quelle sorte de terre infusible convenait à la porcelaine ; seulement, cette terre, on ne la trouvait pas, jusqu’à ce qu’une dame Daniel, femme d’un chirurgien de Saint-Yrieix, eût ramassé, au