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du XVIIIe siècle, la pâte tendre fut le résultat d’efforts compliqués en vue d’imiter la pâte de Chine, dont le principal élément, Je kaolin, nous était inconnu.

Et quoique plus tard on ait donné le nom de « porcelaine artificielle » aux mélanges laborieusement cuisinés du génial Chicoineau, cet inventeur de la pâte tendre, fondateur de la manufacture de Saint-Cloud, vers la fin du règne de Louis XIV, ainsi que ses continuateurs, dépositaires de son « secret, » à Vincennes, puis à Sèvres, entendaient bien fabriquer la véritable porcelaine, et même la seule digne de ce nom. Le chimiste Hellot, membre de l’Académie des Sciences, écrivait en 1733 : « Le Saxe n’est pas une porcelaine, si ce n’est à l’extérieur ; lorsqu’on le casse, on reconnaît que ce n’est qu’un émail blanc semblable à celui des peintres, mais plus dur. » Au fait, peut-on soutenir qu’il existe une porcelaine plus « naturelle » que les autres, puisque toutes sont des combinaisons d’argile et de sables à doses variées ?

Mais ce qu’on peut affirmer c’est que, parmi tous les composés qualifiés aujourd’hui de « porcelaines, » il n’en est pas dont la préparation exige autant d’ingrédiens que la « pâte tendre. » Un manuscrit officiel, conservé à la bibliothèque de Sèvres, nous donne par le menu la recette des procédés et des matières mises en œuvre pour sa confection, « décrits pour le Roi, Sa Majesté s’en étant réservé le secret. » Il y entrait du « sel gris de gabelle » — c’est-à-dire commun, — de l’alun de roche, de la soude d’Alicante, du gypse de Montmartre et du cristal minéral. Le tout, mêlé avec du sable pilé, cuit et calciné, constituait la « fritte, » la partie vitrifiée qui fournissait la transparence ; tandis que le « corps, » la plasticité, était représenté par du blanc d’Espagne et de la terre fine, ou grosse marne, tirée de la carrière d’Argenteuil. On l’additionnait de ce qu’on nommait « la chimie, » dissolution gommeuse de colle de parchemin et de savon noir, chargée de procurer la ténacité et d’empêcher la gerçure.

Tel fut le « biscuit » ou porcelaine mate après cuisson. Une fois émaillée, la pâte tendre, par sa substance autant que par sa « couverte, » se laissait, autrement et mieux que la pâte dure, pénétrer par la décoration. Les couleurs et l’or moulu se fixaient, s’incorporaient à son émail cristallin avec un glacé incompatible. Seulement cette pâte tendre était, au premier chef,