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centimes le kilogramme au XVe siècle, tombé au XVIIIe à 4 francs, se refondait indéfiniment en vaisselle neuve, moyennant une dépense assez modeste de façon.

Peu différent était le prix d’une assiette de Nevers, — 2 fr. 50 sous Henri IV. — Sous Louis XV l’assiette de Rouen, décorée, valait encore 5 francs, et l’assiette blanche 2 francs. Moins solide que l’étain, elle était par là même plus coûteuse. Quant à la porcelaine, c’était, en ce temps-là, un luxe plus onéreux que l’argenterie : six tasses avec leurs soucoupes se payaient 120 francs sous la Régence, et un service à thé en pâte de Saint-Cloud était vendu 1 400 francs par le fabricant.

Ces chiffres élevés ne tenaient pas seulement au prix de la matière première, quoique au XVIIIe siècle la pâte tendre de Sèvres coûtât 5 francs le kilo, tandis que la pâte actuelle de l’industrie vaut 12 centimes. Or le poids d’une assiette varie de 420 grammes, en type bourgeois, à 750 grammes pour le modèle épais, dit « limonade, » destiné aux cafés et restaurans qui redoutent la casse. C’étaient surtout les déceptions et les hasards de la mise en œuvre, qui renchérissaient le produit prêt à être livré au public. Le manufacturier aujourd’hui, à Limoges, établit ainsi son prix de revient pour cent assiettes creuses : 2 fr. 52 de pâte, 2 fr. 90 de façon, 11 fr. 58 de cuisson et de frais généraux. Elles lui coûtent ainsi 17 centimes l’une. Et quoiqu’il enfourne du même coup 7 000 assiettes en 90 files juxtaposées, la cuisson et ses accessoires absorbent 70 pour 100 de la dépense. A l’ancien Sèvres, commandité par le Roi et par Mme de Pompadour, qui espérait surtout faire une bonne affaire, les fours avaient une contenance de 12 mètres cubes, — au lieu de cent de nos jours ; — la cuisson durait quatre fois plus longtemps, — jusqu’à 112 heures ; — elle exigeait en moyenne 17 000 kilos de bois et, à la sortie du four, on brisait les trois quarts ou les deux tiers des pièces. Un quart, un tiers au plus, n’étaient pas endommagées.

Nos usiniers modernes, en classant leurs produits après la cuisson, ont un lot inévitable de « rebuts ; » mais ce dernier est de peu d’importance, comparé au « premier choix » susceptible d’être livré en blanc, comble de la perfection en porcelaine, et à l’ « inférieur, » dont la décoration suffit à masquer les défauts. D’ailleurs, le polissage au « boucheton » où à la « tournette » parvient à corriger les aspérités, à effacer les grains