Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/963

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

accepte le principe de la séparation, non pas que ce principe nous répugne en théorie ; il est appliqué dans certains pays, en Amérique, par exemple, sans que la liberté en souffre ; mais il est si peu conforme à nos mœurs, à nos habitudes d’esprit, à nos traditions invétérées, qu’il faudra de longues années pour qu’il puisse être introduit en France sans danger, à supposer même que ce temps arrive jamais. M. Ribot, et il n’est pas le seul, croit que nous marchons bon gré mal gré à la séparation, et qu’il faut par conséquent en prendre son parti. Il ne reste qu’à choisir le moment de la faire, et le moment ne lui parait pas venu. Il ne reste enfin qu’à la faire dans des conditions libérales, bienveillantes même, pour l’Église, et il ne les trouve pas plus que nous, ces conditions, dans le projet que la Chambre discute. La critique qu’il a faite de ce projet a été admirable de précision et de force : nous la retrouverons d’ailleurs au fur et à mesure qu’on discutera les amendemens déposés par les progressistes. Tout ce que nous pouvons dire pour aujourd’hui, c’est que jamais l’éloquence de M. Ribot n’avait eu plus d’ampleur et d’éclat. Une partie de son discours restera comme une page d’histoire : c’est celle qu’il a consacrée aux incidens politiques qui ont précédé la rupture entre Rome et Paris, et qui lui ont servi de prétexte. Que d’erreurs n’y avait-il pas là à réfuter ! Que de vérités à rétablir ! Nous avons vu se former sous nos yeux une véritable légende qui tend à attribuer au Saint-Siège la responsabilité de la rupture, alors que notre gouvernement l’a voulue et provoquée. Sans doute il y a eu des fautes commises à Rome ; mais la manière dont on les a aggravées et dont on en a profité à Paris, montre bien qu’à défaut de ces prétextes, on en aurait trouvé d’autres. Ceux qui ont le goût de la vérité historique délicatement dégagée et solidement établie liront avec une grande satisfaction d’esprit ce passage du discours de M. Ribot. A côté de lui, d’autres orateurs ont combattu éloquemment le bon combat, par exemple M. Denys Cochin, dont l’éloquence fine et spirituelle produit toujours tant d’effet sur la Chambre, et M. Raiberti, dont le talent sans cesse en progrès ne s’était jamais manifesté avec plus de force. M. Raiberti a plaidé la cause de l’État qu’on désarme en lui enlevant, sous prétexte de le séparer de l’Église, les moyens d’influence qu’il avait sur elle et que tous les gouvernemens antérieurs avaient conservés avec un soin jaloux. Il est probable que le régime nouveau sera mauvais pour l’Église ; il le sera certainement pour l’État. En face de pareils orateurs, qu’avons-nous vu et qu’a entendu la Chambre ? Les socialistes ont fait un grand succès au