l’ombre le personnage d’Ophélie. Mais il suffit de se rappeler le sujet d’Hamlet pour comprendre que, dans un tel sujet, l’aventure d’amour devait forcément rester au second plan. « Si Ophélie avait été une Imogène, une Cordélia, ou même une Juliette, l’histoire aurait dû prendre une autre forme : Hamlet aurait été stimulé à faire son devoir, ou, plus probablement, il serait devenu fou, ou bien encore il se serait tué, dans son désespoir. Aussi fallait-il faire d’Ophélie une jeune fille incapable d’être d’aucun secours à Hamlet, et pour qui, d’autre part, celui-ci n’éprouvât point une passion assez profonde pour être détourné du motif principal de la tragédie. » Si bien que Shakspeare, ne pouvant accentuer davantage le caractère de la fiancée d’Hamlet, en a fait simplement un être de beauté. « Aux autres personnages du drame, comme à nous qui le Usons, Ophélie évêque surtout des visions de fleurs. » Son frère Laërte l’appelle « Rose de Mai ; » il prie que des violettes naissent de ses cendres. La reine répand des roses sur sa tombe, et elle-même, vivante ou morte, ne se montre à nous qu’entourée de fleurs. Avec cela un gentil cœur d’enfant : adorant son frère, éprouvant pour son père un mélange tout enfantin d’affection et de crainte, et n’aimant son fiancé que de la tendresse ignorante d’une petite fille. Une fleur, voilà vraiment tout ce qu’est Ophélie ; et jusque dans la déraison, jusque dans la mort, le poète a voulu qu’elle ne nous offrît qu’une image infiniment douce, parfumée de naïve et tranquille beauté. « Pensées et souffrances, passion, et l’enfer même, — elle change tout en grâce et en gentillesse. »
Desdémone a donné tout son cœur à un nègre, — car aucun doute n’est possible sur la couleur d’Othello : et c’est ce que nombre de critiques anglais et américains ont eu beaucoup de peine à lui pardonner. Mais l’intention évidente de Shakspeare était, au contraire, en la montrant capable d’un tel amour, de la grandir à nos yeux et de nous la rendre plus belle. Aussi bien se tromperait-on fort de se représenter la fille de Brabantio comme une créature naturellement passive et résignée, prête à subir toutes les injustices de la même façon qu’elle subit les reproches et les coups de son mari. La vérité est qu’elle aime, et que toute sa conduite ne dérive que de là.
Son père nous dit bien qu’il la croyait « une jeune fille timide et d’humeur si calme que ses mouvemens mêmes semblaient lui faire honte. » Mais soudain est apparu quelque chose de tout différent, — quelque chose qui ne serait jamais apparu, par exemple, chez Ophélie, — un amour non seulement plein de romanesque, mais attestant une étrange liberté d’esprit, et aboutissant à une hardiesse d’action inaccoutumée. Desdémone, devant le