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cet amant plus jeune qu’elle ; que d’art elle devra dépenser pour ne pas l’irriter par les excès d’une surveillance jalouse, et pour lui dissimuler des pleurs qui sûrement l’agaceraient ! La pauvre femme !

Dès le premier acte on nous a présenté, dans l’entourage de Geneviève, un gentil petit ménage, un ménage de la main gauche, cela va sans dire. Dans celui-ci, les rôles sont renversés et les âges intervertis : c’est l’amant, Tavernay, qui est un vieux ; sa maîtresse Colette est sensiblement plus jeune que lui. Et Tavernay, pour parler de cette jeunesse de Colette qui le rajeunit, — il le croit, le malheureux ! — trouve de ces accens émus dont les vieux marcheurs ont le secret. Brûlons les étapes, comme vous le souhaitez sans doute, et arrivons tout de suite au troisième acte où toute la bande étant réunie à la campagne, — c’est un monde où l’on ne vit qu’en bande, — Geneviève et Tavernay acquièrent simultanément la certitude de leur malheur réciproque. Tavernay, qui n’est qu’un homme, se répand en lamentations. Geneviève a plus de force d’âme. Elle a vu, dans la nuit tombante, le jeune Maurice et la jeune Colette s’embrasser sur les lèvres : elle refoule les sanglots qui lui montent à la gorge. Elle continuera de vivre avec Gérard, s’enhardissant à peine à lui faire entendre des reproches voilés et des plaintes indirectes, acceptant toutes les humiliations, afin de conserver, vaille que vaille, cet amant qui ne l’aime plus, mais dont elle ne saurait se passer. Et la voilà bien, la grande misère de l’amour !

L’Age d’aimer servait de pièce de rentrée à Mme Réjane. L’excellente actrice a été acclamée par son fidèle public. Elle est assez intelligente et elle a assez de souplesse de talent pour réussir dans des rôles d’émotion, comme elle l’a fait si souvent dans les rôles de fantaisie et de gaminerie. Toutefois trop est trop, et il ne faut pas exiger d’elle qu’elle verse décidément dans le pathétique.


Tous ces apitoiemens à faux, toutes ces sensibleries, toutes ces niaiseries nous font trouver une sorte d’attrait à l’âpreté de satire de M. Emile Fabre. Les Ventres dorés ne sont certes pas une bonne pièce, et nous la croyons, pour notre part, fort inférieure à la Vie publique. Nous ne serions pas embarrassé pour en signaler les défaillances. La pièce est longue, pénible, souvent obscure. Ayant à nous mettre sous les yeux l’évolution d’une affaire financière, l’auteur a cru nécessaire de ne nous entretenir, quatre actes durant, que d’opérations de bourse, et dans le langage technique usité entre spécialistes. Il arrive que nous ne comprenions plus rien à ce qui se passe devant