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Au moins jusqu’ici peut-on dire que nous sommes dans la tradition et que l’auteur a tiré de l’histoire de Scarron les effets qu’elle comportait. Mais c’est que je ne vous ai pas même laissé pressentir ce qui fait l’originalité de la conception de M. Mendès et qui lui donne sa valeur propre. Comme on faisait remarquer à Goethe qu’il avait sensiblement faussé le caractère d’Egmont, il répondait sans s’émouvoir : « Peu m’importe l’Egmont de l’histoire. Celui-ci est mon Egmont. » De même M. Mendès a son Scarron, un Scarron qui est bien de son invention, qui lui appartient et qu’on ne lui disputera pas : c’est Scarron sentimental, Scarron élégiaque, Scarron tendre et Scarron tragique. Ruy Blas n’était que le ver de terre amoureux de l’étoile. Scarron est le cul-de-jatte aimant l’oiseau bleu. Car il aime d’amour Françoise d’Aubigné. Il l’aime depuis qu’il l’a vue, enfant de huit ans, une poupée dans ses bras. Il l’a retrouvée plus tard, retour des îles, et la belle Indienne lui est apparue avec tout le prestige que la poésie des tropiques ne peut manquer d’avoir pour un contemporain de Ninon qui aurait déjà lu Bernardin de Saint-Pierre et Chateaubriand. Jeune fille, il n’a pu se faire à l’idée qu’elle entrerait au couvent ; il a rêvé d’elle pendant cent nuits : enfin il s’est enhardi ; il l’a suppliée de devenir, non sa femme, mais sa compagne. Désormais il ne vivra que pour elle : sa gaieté, son travail, son argent, sa gloire, c’est pour Francine ! L’amour enferme dans sa définition la jalousie : Scarron est jaloux. Si Francine ne doit pas lui appartenir, du moins lui fait-il promettre qu’elle ne sera pas à un autre. Elle n’a pas de mari : qu’elle n’ait pas d’amant ! Comme d’ailleurs il faut être prêt à toute occurrence et pouvoir, à l’occasion, tenir les galans en respect, Scarron prend des leçons d’armes. Nous assistons à cette leçon d’armes par procuration, où le valet Foucaral fait les mouvemens, auxquels se refusent les membres paralysés de l’infirme. C’est un des beaux endroits de l’ouvrage.

Le fait est que Mme Scarron, telle qu’on nous la présente, n’est aucunement l’épouse de tout repos qui conviendrait à un mari si peu ingambe. On ne peut dire qu’elle trompe son mari ; mais on ne peut dire non plus qu’elle lui soit fidèle. Entre les chroniqueurs qui se sont portés garans de la vertu de Mme Scarron, et ceux qui lui ont reproché ses galanteries, M. Catulle Mendès a fait une espèce de cote mal taillée, et adopté un moyen terme. Sa Francine est une jeune personne résolue à se laisser courtiser, sans toutefois accorder les dernières faveurs. Elle concilie ainsi le soin de son honneur et une espèce de furieuse coquetterie dont nous voyons qu’elle est agitée. Cette