tumultueux finale du quatuor en ut majeur (Op. 59, no 3) que les Allemands encore ont surnommé le quatuor « des héros. »
Ainsi, de ce que nous sommes et de ce qui nous entoure, en notre âme et hors de notre âme, il n’est rien que le génie de Beethoven ne représente et n’évoque, ne saisisse et n’embrasse. Il y a dans ses quatuors de la musique pour tous les degrés et pour tous les instans, pour tous les états et pour tous les aspects de la vie.
L’exécution des quatuors de Beethoven par « le quatuor » Joachim a été ce qu’il peut y avoir, dans l’ordre de l’interprétation musicale, de plus simple et de plus pur, de plus élevé et de plus profond. Encore voudrait-on trouver ici un autre mot que celui d’interprétation. Il a le sens d’intermédiaire, et l’art de Joachim et des siens ne consiste, en s’effaçant, en s’oubliant eux-mêmes, qu’à supprimer toute entremise, à créer entre l’œuvre et nous la communication directe et le contact absolu. « Il faut qu’il croisse et que je diminue. » Le serviteur fidèle par le ainsi de son maître et, depuis plus d’un demi-siècle, les vrais, les grands maîtres ont trouvé dans Joseph Joachim un de leurs plus fidèles serviteurs. Quels disciples aussi : un Halir, un Wirth, un Haussmann, qu’avec lui nous venons d’entendre, il a formés à les servir comme lui ! Admirable concert, où l’un commande sans rigueur, où les autres obéissent avec amour ! Concert unanime, où vit en quatre personnes, où chante par quatre voix un esprit unique ! « Chacun en a sa part et tous l’ont tout entier. » Et puis on ne saurait dire de tels musiciens qu’ils font de la musique. Mais plutôt ils sont la musique et elle est eux, n’étant que l’exercice naturel de leur activité, le mode essentiel de leur être.
Admirable interprète, — puisqu’il faut nous contenter de ce mot, — Joseph Joachim est de plus un illustre témoin. Lorsqu’il naquit, il y avait quatre années seulement que Beethoven était mort. Les Mendelssohn et les Schumann, puis les Brahms, l’ont eu pour élève et pour ami. Contemporain d’un âge glorieux de la musique, il y survit glorieusement. Enfin rien n’est égal à la noblesse de son art, hormis la dignité de sa vie. Il est de ceux qui chantent avec leur âme, et dont l’âme est belle. Ceux-là se font rares aujourd’hui. « Veglio onesto, » disait Dante d’un grand Romain qu’il rencontra parmi les ombres. Pour honorer la vieillesse de Joseph Joachim, on ne saurait trouver de plus beau nom.
CAMILLE BELLAIGUE.