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IV


Si tu veux voir un vase aux belles formes naître,
Suis-moi dans l’atelier jusqu’à cette fenêtre
Où l’ébaucheur travaille assis devant le jour.
Il jette un pain de terre onctueux sur son tour,
Le mouille, et, résistant à l’effort du mobile,
Elève entre ses mains la frissonnante argile.
D’un pouce impérieux il l’attaque en plein cœur,
La creuse et la façonne au gré de sa vigueur.
Regarde, sous l’active étreinte qui la guide,
Le vase épanouir sa grâce encor liquide.
Tandis qu’il l’arrondit de la paume au dehors,
Ses doigts joints et courbés en polissent les bords.
L’argile cependant, sans relâche arrosée,
Comme un miroir voilé reflète la croisée.
Souple et svelte, le col jaillit des flancs égaux.
Il chemine en faisant onduler ses anneaux.
Menée au plus haut point déjà, sa tige molle
Expire, et le potier la renverse en corolle.
Le tour s’arrête. Alors, et prenant un répit,
L’humble maître content de son œuvre sourit.


V


Ton image en tous lieux peuple ma solitude.
Quand c’est l’hiver, la ville, et les labeurs d’esprit,
Elle s’accoude au bout de ma table d’étude,
Muette, et me sourit.

A la campagne, au temps des foins et des cerises,
Amis du soir qui meurt et des vastes couchans,
Elle et moi nous rentrons ensemble aux heures grises
Par les chemins des champs.

Elle écoute avec moi sous les pins maritimes
La vague qui s’écroule en traînant des graviers.
Parfois, sur la montagne, ivre du vent des cimes,
Elle dort à mes pieds.