On écoute l’eau des fontaines
Couper de sanglots incertains,
Le bruit des guitares lointaines
Qui bourdonnent dans les jardins.
Un souffle de vent frais circule
A travers le feuillage noir,
Et dans le ciel du crépuscule
L’angélus répand de l’espoir.
La ville se recueille et rêve.
Mais voilà que, derrière un mur,
La voix d’un violon s’élève,
Apre et poignante vers l’azur.
Elle est en vérité si triste
Et frémit de tant de douleur
Qu’à chaque coup d’archet, l’artiste
Semble se l’arracher du cœur.
Est-ce quelque homme solitaire,
Ivre à jamais de son souci,
Qui, lassé de tout sur la terre,
Est venu pour vieillir ici ?
Il pleure en appuyant sa joue
A l’instrument passionné :
Sans doute ainsi pendant qu’il joue
Il songe à ceux dont il est né ;
Il songe à sa première amie,
A ses anciens compagnons morts,
A l’isolement de sa vie,
Aux jours perdus, aux vains efforts.
Et, longtemps, la gorge serrée,
J’agonise en me retrouvant
Dans la plainte ; désespérée
Que son violon jette au vent.
Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/911
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.