Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/90

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

iv. — bouhousi

Si vous ouvrez un guide Joanne, vous y lirez : « Bouhousi, gros bourg sans intérêt. » Je ne partage pas l’opinion du guide Joanne. Il est vrai que Bouhousi ne possède point comme Piatra une vieille église bâtie par Étienne le Grand, qu’on y chercherait vainement un casino, et qu’on n’y découvrirait même pas un hôtel. Mais Bouhousi est la résidence du plus grand rabbin de la Roumanie, d’un des plus grands rabbins du monde, d’un rabbin aussi mystérieux que le Grand Lama du Thibet. Son nom ne figure pas aux registres du Gouvernement. Des légendes courent sur lui. On dit que sa maison est l’Arche Sainte et que le peuple choisi danse autour de ses murs. On prétend qu’il ne sort que dans un magnifique carrosse et que la foule se bouscule sous les pieds de ses chevaux pour attraper un de ses regards. On affirme que, lorsqu’il parait à Iassi, la multitude se précipite à la gare et se dispute la gloire de toucher et de baiser le bas de son manteau.

Si je n’accueille ces bruits qu’avec la plus extrême réserve, l’existence de ce fabuleux pontife ne laisse, pas de piquer ma curiosité. Bouhousi est à une heure environ de Piatra, et, le dimanche matin, j’y arrivai en compagnie de mon hôte, le sous-préfet de Piatra. En face de la gare, s’élève une fabrique de draps roumains, « la Première, » comme le disent de grosses lettres noires peintes à son fronton. On m’avertit que cette fabrique, fondée par un Roumain, avait été rachetée par une compagnie anonyme de Juifs et d’Allemands.

La gare était bondée de vieux Juifs en papillotes, une calotte noire sous le chapeau, les poches de la lévite gonflées et étranglées d’une ceinture de soie noire. La pluie de la nuit avait crotté leurs bas blancs et leurs souliers éculés. Ils portaient des parapluies qui ressemblaient à des tromblons. Dans l’allée de chênes qui monte au bourg nous en croisâmes beaucoup d’autres. La foire du dimanche ne justifiait point une telle affluence. Mais nous apprîmes à la mairie que, la veille au soir, le rabbin avait célébré l’anniversaire de la mort de son père et que des Juifs y étaient venus jusque de la Galicie.

J’envoyai solliciter du rabbin la faveur d’une audience ; et, pendant que nous attendions sa réponse, je m’entretins avec le